Ouvrage du collectif Adret sorti en 1977.
Post reddit : Décroissance et anticapitalisme
Dans la première on a une série de témoignages de travailleurs qui viennent de métiers différents (docker, ouvrier, secrétaire...) et qui rendent compte de leur conditions et horaires, des problèmes de temps ou d'énergie gaspillés, des conflits avec la direction, de la relation entre le temps libre et le temps de travail etc...
Dans la seconde partie, un chercheur pars d'un constat sur la productivité et le temps passé à travailler :
1896 | 1936 | 1976 | |
---|---|---|---|
Durée hebdomadaire du travail salarié | 56 heures | 40 heures | 42 heures |
Productivité (production par homme et par heure) | 1 | 3 | 10 |
(J.-J. Carré, P. Dubois et E. Malinvaud, La Croissance française, Paris, Le Seuil, 1972. Rapports sur les Comptes de la Nation 1973, INSEE 1974)
Pour lui il s'agit d'un choix de civilisation : utiliser la technique non pas pour réduire le temps de travail, mais pour produire plus.
Il propose ensuite une distinction entre travail "lié" et travail "libre" :
Plaçons-nous maintenant dans cette société "autre" dont nous avons parlé plus haut. J'y distinguerai deux sortes de travail.
Il y a le travail pénible et ennuyeux qui demeure nécessaire pour faire fonctionner la société dans son ensemble. J'appellerai travail lié l'ensemble de ces activités : c'est le "boulot" qui n'a guère d'autre intérêt que de procurer à chacun les moyens matériels de l'existence.
Il y a ensuite le travail libre : qui a un sens pour celui qui le fait; l'activité créatrice qui trouve en elle-même sa justification; les tâches accomplies au service d'une communauté suffisamment restreinte pour qu'on se sente y appartenir concrètement. Je suppose que le "travail libre" s'organise de manière décentralisée et qu'il échappe en tout état de cause à l'économie de marché.
Il va passer en revue plusieurs secteurs, comme l'automobile, l'agriculture ou la médecine, et montrer où il y aurait des économies de temps à faire. Ensuite il se lance dans le calcul qui justifie le titre du bouquin selon 4 axes : diminuer le temps de travail (1 et 2), et répartir autrement le partage entre travail libre et travail lié (3 et 4).
1 - Diminuer la production, ce qui ne veut pas forcément dire une diminution drastique du niveau de vie, car on peut :
- Mieux répartir les revenus après diminution de la production, il illustre ça avec un graphique en camembert.
- Supprimer le gaspillage, déjà dans l'industrie lourde (les abattoirs de la Villette, les supertankers, le Concorde...) mais aussi dans le secteur tertiaire, en supprimant la publicité, les emballages inutiles, et en réduisant le travail administratif (avec l’automobile, ça voudrait dire par exemple centraliser l'assurance). Sans doute que si le livre avait été écrit récemment, les fameux "bullshit jobs" de David Graeber auraient leur place dans cette section.
- Lutter contre obsolescence programmée, rendre les objets plus durable. L'auteur cite entre autre les bas nylons trempés dans l'acide pour les rendre plus fragile, ou les ampoules survoltés qui durent moins longtemps. Là aussi il y aurait plus à dire à notre époque.
2 - Augmenter la productivité (au sens de travailler moins longtemps pour produire autant) par trois moyens :
- Utiliser le progrès technique, qui d'après l'auteur a triplé au cours du précédent quart de siècle (de 1952 à 1977 donc) :
Une soixantaine d'entreprises ont été interrogées en octobre 1975 par la CEGOS (P. Drouin, Le Monde, 18 avril 1975). Elles ont déclaré disposer d'un important excès de main-d’œuvre, pouvant atteindre 15%, qu'elles s'efforçaient de ne pas licencier en attendant des jours meilleurs. A lui seul, ce sous-emploi admis par les entreprises devrait permettre d'envisager une réduction immédiate de la durée de travail de 10% sans que la production en souffre.
- Mettre à profit la diminution du temps de travail : l'auteur cite une grève des mineurs en Grande-Bretagne pendant l'hiver 73-74 :
Pour faire face à la pénurie d'énergie, le gouvernement décida de limiter le temps de travail à 3 jours par semaine, soit une baisse de plus de 40%. La production ne baissa pas d'autant. On enregistra, en général, une diminution de la production de 20 à 30% seulement. Dans certains cas, on constata même une augmentation (The Economist, Londres, 2 mars 1974, p. 75).
- Tirer parti de la réorganisation du travail, en donnant au travailleur plus d'autonomie (à l'inverse du taylorisme, où il doit effectuer les même gestes codifiés). Il cite entre autre l'entreprise Italienne Olivetti, qui après avoir essayé a vu la productivité augmenter de 20% et l'absentéisme diminuer de moitié (D. Verguèse, Le Monde, 7 janvier 1976).
3 - Transformer une partie du travail lié en travail libre. Ce passage rejoins l'obsolescence programmée : au lieu de faire des produits soudés, incompréhensibles par l’utilisateur, on pourrait faire des produits en kit à monter soi-même ou collectivement dans des ateliers de quartier. Avec des pièces de rechanges standardisés, ça empêcherait de tout jeter en cas de défaillance, et ça rendrait l’utilisateur plus autonome et maître de ses objets.
4 - Augmenter la part des actifs au lieu de procéder par "tout ou rien". Il imagine que par exemples les jeunes pourraient continuer leur étude en participant 2 heures par jour (ou une longue journée par semaine). Les femmes deviendraient des travailleuses à part entière et les hommes ne pourraient plus se réfugier derrière le prétexte de leur journée de travail pour échapper aux tâches ménagères. Les personnes âgées auraient la possibilité de continuer un travail selon leur capacités.
L'auteur met cependant en garde : son calcul repose sur deux présupposés :
- Les procédés qu'il évoque sont indépendants.
- Chacune des branches de la production peut bénéficier également de ces réductions du temps de travail.
Il dit aussi explicitement que ce genre de mesures ne seraient possible que dans un monde débarrassé du capitalisme, où la motivation du profit a disparue. Il est favorable à une forme de socialisme libertaire.