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La Machine

BD originale : The Machine - Existential Comics


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Aujourd'hui était un jour plus que tout autre où l'humanité s'est regardée et a déclaré : "Le futur est là !". Une machine a été inventée, qui pouvait transporter instantanément des objets, et même des personnes, d'un endroit à un autre.

Les centres d'expédition et les aéroports furent remplacées par des centres de téléportation tout autour du globe, le voyage devint instantané et pas cher.

Mais certains avançaient que les machines faisait plus que transporter les gens, elles les tuaient également. Puisque les machines n'utilisaient pas exactement les mêmes atomes dans l'exacte même position, ce qui arrivaient de l'autre coté n'était pas l'original, mais seulement une copie. Par contre, puisque la copie avait les souvenirs du passé de l'original, elle pensait être la même personne. L'original, en revanche était détruit.

Ils disaient que le transport n'existait qu'en apparence, puisque l'effet était instantané. Et si la machine était modifié de façon à ce que la copie n'apparaissait que mille ans plus tard ? Devrions-nous la considérer comme la même personne, malgré tout ce temps de non-existence ? Ou pire, et si la copie apparaissait un peu avant que l'original disparaisse, et pouvait voir les derniers moments de la vie de l'original, avant qu'elle disparaisse pour toujours ? Il serait clair qu'elle n'était qu'un clone, créé à ce moment.

Notre protagoniste était parmi les plus passionnés d'entre eux. Il regardait avec horreur les clones sortir de la machine, croyant être des humains ayant vécus de longues vies, alors qu'ils venaient d'être créé il y a un instant.

Il manifesta, et essaya de convaincre le monde qu'ils marchaient vers leur mort.

Mais ses arguments étaient trop complexes et abstraits, et le confort du voyage instantané trop important.
— Mais il n'y a eu aucun témoignage de maladie ou de perte de mémoire dû à leur usage...
— Ce n'est pas une question de mémoire, Bob.
Le public s'en foutait, tout simplement...

Il désespérait, tandis que des milions marchaient vers leur mort, juste pour sauver un peu de temps. Le plus grand génocide de tous les temps prenait place, et au lieu de lutter contre, le monde s'en félicitait comme un progrès.

Peu écoutaient ses arguments, et même pour ceux qui le faisaient, le confort de la machine était bien trop grand face à une peur aussi abstraite.

Puis par chance, une chose extraordinaire arriva. Il était là : le diable en personne.

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— Excusez-moi, êtes vous l'inventeur de la machine à téléporter ?
— Oui

— Puis-je vous poser une question ? Est-ce que votre machine réassemble la personne avec les mêmes molécules, dans la même position ?
— Des atomes particuliers se déplacent, si c'est ça que vous demandez.

— Aha ! Donc vous admettez qu'elle ne fait que les copier, pas les déplacer ! Votre machine tue des millions et ne créée que des clones à la place !

— Mon garçon, vous ne pensez sûrement pas que "vous" êtes les atomes individuels de votre corps ? Un atome de carbone est semblable à un autre ! Et votre corps lui-même se débarrasse et remplace des atomes constamment, pourtant vous ne parlez pas de copies.

— "Vous" n'êtes pas les atomes de votre corps, mais l'arrangement de ces atomes. Votre conscience est une propriété émergente de cet arrangement, pas de quelques atomes en particulier, et c'est cet arrangement qui est transporté et maintenu.

— Bien qu'évidemment, il y a une courte interruption de la conscience, mais pas plus qu'être assommé ou même qu'une bonne nuit de sommeil. Si votre soi persistant survit à ça, alors il survivera surement à ma machine. Bonne journée.

Cela, en revanche, ne consola pas l'homme. Le vieux avait raison, il n'y avait pas de différence entre un atome et l'autre. La vie d'un homme est la conscience produite par l'arrangement des atomes. Ça n'a pas d'importance si les atomes changent, seulement si la conscience est interrompue... Mais alors quoi, si c'est le cas ?

Il ne dormit pas cette nuit, se demandant si la mort l'attendait.

Au matin, il perdit tout doute. Il savait qu'il pouvait tenir seulement un jour ou deux de plus avant que son corps ne le trahisse. Il plongerait dans l'inconscience et cette chose qu'il appelle "moi-même" disparaîtrait pour toujours, seulement un souvenir de cette chose resterait pour la prochaine vie.

Il n'alla pas au travail ce jour-là, personne ne passerait sa dernière journée sur terre au bureau. À la place il erra dans la ville sans but. L'angoisse le consumait tandis qu'il essayait de trouver ce qu'il devait faire du peu de temps qu'il lui restait. Aucune activité particulière ne semblait assez digne de prendre l'entièreté de son temps restant.

Il se réveilla soudainement dans un bus. Il avait dérivé vers le sommeil... vers la mort. Se souvenant des quelques jours précédents, il décida que la chose la plus sensée à faire était d'attraper le peu de plaisir qu'il pouvait de sa vie trop courte.

Même si ça n'a pas beaucoup apaisé son angoisse, il prit ce qu'il pouvait de son moment de vie.

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En revanche, son argent s'épuisa vite. Les jours passèrent, chaque vie plus misérable que l'autre.

Désespéré pour un sursis, il ne voulait rien de plus que d'oublier tout et de recommencer comme avant. Mais il ne connaissait aucune méthode pour détruire une idée.

Après beaucoup d'années, et beaucoup d'autre vies, il décida enfin qu'il n'y avait qu'une seule chose à faire.

Il marcha le long du pont, maudissant chacune de ses vies pour leur cupidité et leur égoïsme, laissant chacune d'entre elles pire que la dernière.

Il grimpa la barrière, et pour la première fois se sentit prêt pour la mort.

Il se tenait sur le précipice, pensant à toutes ses vies passées, et à toutes ses vies futures. Il pensa que c'était son devoir de les sauver de leurs courtes et misérables existences, rongées par l'angoisse.

Mais il se demanda de quel droit pouvait-il prendre leurs vies, aussi horribles soit-elles ? Il n'était lié à elles que par son imagination, et elles liés à lui seulement par leurs mémoires. Se suicider serait en même temps les tuer toutes. Aucune différence avec le fait de tuer un inconnu dans la rue. Même s'il pensait que l'inconnu avait une vie misérable, il n'avait pas le droit de la prendre.

L'homme n'était pas un meurtrier. Au lieu de les tuer sans leur laisser le choix, il pourrait peut-être leur donner une chance de vivre en paix. Il quitterait cet endroit, et repartirait à zéro, dans la campagne lointaine.

Il retourna dans un lieu familier, mais pour la première fois en tant que client.

Il acheta son ticket, le ticket qu'il utiliserait pour mettre fin à sa vie. Il lui coûta 92 dollars.

Il pensa à toutes ses vies passées, tant d'entre elles furent misérables et tourmentées, et pour quoi ? Tout ça pour une idée qui a pris toute la place dans son esprit. L'idée que la vie est courte, bien sûr, toutes les vies sont courtes, mais la sienne était seulement un instant. La brièveté était elle suffisante pour causer l'insignifiance ?

Il se demanda s'il y avait peut-être une autre voie. Et si elles avaient toutes eu tort d'essayer de détruire l'idée. Il y avait-il un moyen de vivre avec en paix ?

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Peut-être qu'à travers son sacrifice ses futurs soi pourraient trouver un moyen d'accepter la mort comme il l'a fait. En l'acceptant, ils pourront vivre leurs courtes vies sans angoisse, peut-être même avec de la joie et du sens.

C'était trop tard pour lui évidemment, la mort approchait. Il espérait que sa prochaine vie se souviendrait de lui tendrement. Il espérait qu'elles se souviendraient qu'il n'a pas sacrifié le futur pour ses propres désirs.

La machine commença à bourdonner... il était temps.

Il y eut un brillant éclat de lumière...

...et puis le néant.

Il émergea de l'autre coté de la machine en homme nouveau. Ses vies passés s'effacèrent, elles semblaient rien de plus qu'un souvenir distant. Il réalisa quels fous ils ont été, chassant des plaisirs triviaux.

Il fit du stop vers la campagne. Il réalisait maintenant clairement ce qu'il avait su depuis longtemps : qu'il ne pouvait y avoir de sens dans une vie si courte, ni une plus longue. Comment avit-il pu penser dépasser un tel problème par l'hédonisme ? Son insouciance avait privé ses futurs soi de tout, tout en n'apportant rien au présent.

Il réalisa ensuite une bien plus grande vérité, bien qu'évidente. Ces futurs soi étaient tout aussi important pour lui que tout les autres futurs soi. Donc s'il arrêterait de voler ses futurs soi, il devrait logiquement, de la même façon, arrêter de voler tout les futurs soi.

Il trouva un travail de fermier à la campagne. Chaque jour, il travailla et chaque nuit, il s'asseyait seul avec ses pensées.

Beaucoup d'années passèrent. Chaque jour était le même cycle agréable. Il parlait peu aux villageois, mais quand il le faisait, il était toujours joyeux, patient, et gentil. Pour la plupart, ils ne voulaient pas avoir affaire à lui, et le voyaient comme un vieux fou. Mais certains le traitaient presque comme un saint.

Il donnait le peu d'argent qu'il avait, car il savait ne pas le mériter. Personne ne peut mériter l'argent qu'il a, car ce n'est pas soi qui l'a gagné, mais un soi du passé. N'importe qui d'autre à un droit égal à cet argent. Il donnait donc ce qu'il pouvait aux plus pauvres. Il savait ce que c'était que d'avoir une vie gâchée par la folie de son passé.

Finalement, il devient vieux et malade, et on lui dit qu'il allait mourir. Quand on lui annonça la nouvelle, il sourit simplement et remercia le docteur.
— Êtes-vous sûr de comprendre ce que je dis ?
Il est mort de mille morts, il n'en craignait pas une de plus.

Il ressenti seulement une pointe de tristesse que ses souvenirs ne seraient pas transmis. En revanche, il réfléchit joyeusement sur ses pensées et ses vies passées. Il pensa que ce moment de vie était peut-être le plus grand de tous. Même s'il devait endurer la douleur de la maladie, en tant que dernier homme, il avait les souvenirs de tout ses précédents soi, alors que chacun d'entre eux ne connaitrai jamais les pensées de ceux venant après eux.

Et ainsi, il passa tranquillement dans le vide, pour la dernière fois.

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