Reading notes / Notes de lecture

Comment tout peut s'effondrer

Ouvrage de Pablo Servigne et Raphaël Stevens sorti en 2015.

Post reddit : Résumé du livre "Comment tout peut s'effondrer"


Première partie : prémices d'un effondrement

Tout au long du livre, notre civilisation industrielle est comparée à une voiture se déplaçant sur une route infinie. Après un lent démarrage, le véhicule a accéléré brutalement après la seconde guerre mondiale. Accélération technique, sociale, démographique, économique etc... Les auteurs posent ensuite une distinction entre deux types de problèmes que cette accélération rencontre :

Parmi les limites, il y a l’énergie, qui est pour une grande partie du pétrole. Or le pic pétrolier a déjà été atteint dans la moitié des 20 premiers pays producteurs, et le pic mondial du pétrole conventionnel a été franchi en 2006. Le non conventionnel (gaz de schiste par exemple), au delà des problèmes environnementaux, n'est pas financièrement rentable. Les autres énergies (gaz, bois, charbon, uranium) n'ont pas les qualités du pétrole (dense en énergie, transportable) et s'épuiseront vite : la date de leur pic approche et les infrastructures/les machines pour les exploiter fonctionnent au pétrole. Autres pics inquiétant : l'argent (éoliennes), l'indium (panneaux solaires), le lithium (batteries).

Certes, il reste d'énormes quantités de pétrole, mais elles ne seront jamais utilisées (et c'est une bonne nouvelle pour le climat) à cause du TRE (taux de retour énergétique). Pour récupérer l'énergie du pétrole, il faut d'abord en dépenser (prospection, pipelines, machines, routes, puits, infrastructures...). En 1900, on brûlait un baril de pétrole pour en récupérer 100, en 1990, 35, et aujourd'hui, seulement 11. Il faut toujours chercher plus loin et creuser plus profond.

Le problème est que nos sociétés ont besoin d'un TRE minimum pour fonctionner. Si on prend les services de bases (alimentaire, eau, chauffage, habitats, sanitaire), les services publics (justice, sécu sociale) et le divertissement (tourisme, culture, cinéma) on arrive à un TRE entre 12:1 et 13:1. En dessous, il va falloir faire des choix. De plus, la relation entre le TRE du pétrole et le prix du baril n'est pas linéaire, sous la barre des 10:1, le prix augmente exponentiellement. Le système financier et la dette sont intimement reliés à l'énergie, et leurs effondrement poserait des problèmes graves à court terme.

Pour ce qui est des frontières, les deux principales sont le climat et la biodiversité. Le GIEC a observé dans son cinquième rapport sorti en 2014 que le climat s'est réchauffé de 0,85°C depuis 1880 à cause de l'émission de gaz à effet de serre produits par l'activité humaine. La tendance est sur du +2°C vers 2050 et +4,8°C en fin de siècle, mais le réchauffement actuel provoque déjà des conséquences néfastes (vagues de chaleurs, événements climatiques extrêmes, fonte des glaces, pénurie d'eau, impacts sur l'agriculture...). Le réchauffement et la pollution entraînent à leur tour une chute drastique de la biodiversité, or nous avons besoin d'interaction avec les autres espèces, et aussi des interactions que ces espèces ont entre elles. La pollinisation par exemple est primordiale pour les écosystèmes.

Les auteurs proposent l'analogie de l’interrupteur pour comprendre ces frontières : quand on appuie dessus tout doucement, il ne bouge pas. On continue d'appuyer, de plus en plus fort, jusqu'à ce qu'il s'enclenche d'un seul coup. Il en va de même pour les écosystèmes : ils ne montrent pas immédiatement de signes apparents d’usure malgré une pression constante (chasse, pêche, sécheresse, pollution), jusqu'à un certain point, où ils basculent rapidement dans un nouvel état stable :

Un lac peut par exemple passer rapidement d’un état translucide à totalement opaque à cause d’une pression de pêche constante. La diminution progressive du nombre de grands poissons provoque, à un moment précis, un effet en cascade sur tout le réseau alimentaire, ce qui en bout de course mène à une prolifération très soudaine et généralisée de micro algues. Ce nouvel état, très stable, est ensuite difficile à inverser. Le problème est que personne n’avait prévu cette invasion d’algues, et personne ne pouvait (jusque récemment) la prévoir.

On reste sur la métaphore de la voiture : le blocage de la direction symbolise les verrouillages socio-techniques qui nous empêchent d'agir efficacement. Un exemple avec les claviers AZERTY/QWERTY : cette disposition de touches à été mise au point pour homogénéiser le rythme de frappe sur les vieilles machines à écrire, afin de ne pas entremêler les tiges. Aujourd'hui les claviers numériques n'ont plus besoin de cette précaution, et certains ont inventés une disposition plus efficace : le DVORAK, que pourtant personne n’utilise, on a conservé l'ancien système alors que les machines à écrire ont disparus.

Nous nous arrêtons tous à la station-service pour remplir notre réservoir parce que nos ancêtres (certains d’entre eux) ont à un moment décidé de généraliser l’utilisation du moteur thermique, de la voiture et du pétrole. Nous sommes coincés dans les choix technologiques de ces ancêtres. Les trajectoires technologiques actuelles sont donc en grande partie déterminées par notre passé et, bien souvent, les innovations technologiques ne font que tenter de résoudre les problèmes des précédentes. Cette évolution « dépendante-au-sentier » (path dependant) peut, de multiples façons, conduire à des « culs-de-sac technologiques », nous enfermant dans des choix de plus en plus contre-productifs.

Les systèmes se verrouillent pour des raisons techniques, institutionnelles et psychologiques. Au niveau mondial, et surtout avec la concurrence entre tout les pays, on constate un verrouillage du système financier, du système énergétique basé sur le carbone, et de la croissance.

Cette première partie se termine sur un autre problème : l’interconnexion croissante des réseaux de nos sociétés :

Plusieurs centaines de milliers de boulons, d’écrous et de rivets de tailles différentes, des dizaines de milliers de pièces métalliques pour les moteurs et la carrosserie, des pièces en caoutchouc, en plastique, en fibre de carbone, des polymères thermodurcissables, des tissus, du verre, des microprocesseurs... Au total, six millions de pièces sont nécessaires pour construire un Boeing 747. Pour assembler ses avions, Boeing fait appel à près de 6 500 fournisseurs basés dans plus de 100 pays et effectue environ 360 000 transactions commerciales chaque mois. Telle est l’incroyable complexité de notre monde moderne.

L'économie réelle, par exemple, s'est fortement interconnectée et fonctionne maintenant avec des flux tendus qui traversent de nombreux pays, les stocks étant devenus trop chers. Le système économique mondial a gagné en efficacité, mais au prix de perdre en résilience :

L’exemple des inondations de 2011 en Thaïlande est éloquent. Suite à des fortes pluies et à quatre tempêtes tropicales intenses, de nombreuses entreprises thaïlandaises, de l’agriculture à la fabrication d’ordinateurs et de puces électroniques, furent affectées par les inondations. Dans ce grand pays producteur de riz, la production annuelle s’est effondrée de 20 % ; la production mondiale de disques durs a chuté de 28 %, ce qui a fait flamber les prix ; la production d’ordinateurs, d’appareils photo et vidéo digitaux s’est arrêtée. La montée des eaux dévasta également les usines de Honda, Nissan et Toyota qui durent toutes stopper leur production. Le Forum économique mondial faisait remarquer en 2012 que tout cela était dû à « des chaînes d’approvisionnement efficaces qui ne laissaient pas de place à des événements catastrophiques ».

Cette menace qui plane sur l'économie réelle se retrouve aussi sur la finance, et sur ce qui maintient les deux : les infrastructures (réseaux de transport, électricité, télécoms, Internet...) :

En 2000, suite à l’augmentation des prix du diesel, 150 camionneurs en grève ont bloqué les grands dépôts de carburant de Grande-Bretagne. Quatre jours seulement après le début de la grève, la plupart des raffineries du pays avaient stoppé leurs activités, forçant le gouvernement à prendre des mesures pour protéger les réserves restantes. Le jour suivant, des gens se ruèrent dans les supermarchés et les épiceries pour stocker de la nourriture. Un jour plus tard, 90 % des stations-service étaient hors-service et le système de santé publique (NHS) commença à annuler des opérations chirurgicales non-essentielles. Les livraisons postales de la Royal Mail stoppèrent et les écoles dans de nombreuses villes et villages fermèrent leurs portes. Les grands supermarchés comme Tesco et Sainsbury’s introduisirent un système de rationnement et le gouvernement fit appel à l’armée pour escorter les convois de biens vitaux. Finalement, les grévistes cessèrent leur action devant la pression de l’opinion publique. Selon Alan McKinnon, auteur d’une analyse de cet événement et professeur de logistique à l’université de Heriot-Watt à Édimbourg, si cela venait à se reproduire, « après une semaine, le pays serait plongé dans une crise sociale et économique profonde. Cela prendrait des semaines pour que la plupart des systèmes de production et de distribution puissent récupérer. Certaines entreprises ne récupéreraient jamais ».

De plus, cette complexification et cette interdépendance a pour effet de créer des métiers très spécialisés, des individus "fonction-clé" dont les systèmes sont dépendants (transporteurs routiers de carburant, postes techniques de centrales nucléaires, ingénieurs informatiques, etc...) Une pandémie sévère serait donc une autre étincelle possible de l'effondrement. Pas à cause d'un virus qui touche 99% de la population, mais qui en touche assez pour atteindre ces individus indispensables :

Certains rétorqueront qu’au Moyen Âge, la peste a décimé un tiers de la population européenne, mais qu’il n’y a pas eu d’extinction de civilisation. Certes, mais la situation était différente. Les sociétés étaient beaucoup moins complexes qu’aujourd’hui. Non seulement les économies régionales étaient compartimentées, réduisant ainsi le risque de contagion, mais la population était constituée d’une majorité de paysans. Or, une diminution d’un tiers des paysans réduit la production agricole d’un tiers, mais ne fait pas disparaître des fonctions vitales à l’ensemble de la société. Sans compter qu’à l’époque, les survivants pouvaient encore s’appuyer sur des écosystèmes non-pollués et diversifiés, de nouvelles terres arables potentielles, des forêts en relative abondance et un climat stable. Aujourd’hui, ces conditions ne sont plus réunies.

Deuxième partie : alors, c'est pour quand ?

Cette seconde partie, beaucoup plus courte, souligne le fait que les méthodes classiques d'évaluation des risques sont peu pertinentes face à des éventements rares et des systèmes complexes. Illustration de la "dinde inductiviste" de Bertrand Russell :

Dans l’univers d’un élevage de dindes, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes : l’éleveur vient tous les jours donner des grains et il fait toujours chaud. Les dindes vivent dans un monde de croissance et d’abondance... jusqu’à la veille de Noël ! S’il y avait une dinde statisticienne spécialiste de la gestion des risques, le 23 décembre, elle dirait à ses congénères qu’il n’y a aucun souci à se faire pour l’avenir...

Les auteurs mettent l'accent sur l'intuition là où la mesure des risques est inutile, même si il est possible de percevoir certains signaux avant-coureurs d'un système probablement sur le point de s'effondrer. Celui qui est fréquemment observé est ce que les chercheurs appellent le "ralentissement critique" : le système met plus longtemps à récupérer d'une petite perturbation. Ce genre d’indices a été observés sur des écosystèmes qui se sont effondrés, mais aussi en laboratoire avec des populations de zooplancton, de levures ou de cyanobactéries.

Page 151, une figure illustre bien la différence entre décroissance linéaire et effondrement :

Un réseau hétérogène et modulaire (faiblement connecté, avec des parties indépendantes) encaissera les chocs en s’adaptant. Il ne subira que des pertes locales et se dégradera progressivement. Par contre, un réseau homogène et hautement connecté montrera dans un premier temps une résistance au changement, car les pertes locales sont absorbées grâce à la connectivité entre les éléments. Mais ensuite, si les perturbations se prolongent, il sera soumis à des effets en cascade et donc à des changements catastrophiques. En réalité, l’apparente résilience de ces systèmes homogènes et connectés est trompeuse, car elle cache une fragilité croissante. Comme le chêne, ces systèmes sont très résistants mais cassent lorsque la pression est trop importante. À l’inverse, les systèmes hétérogènes et modulaires sont résilients, ils plient mais ne rompent pas. Ils s’adaptent, comme le roseau.

En plus des signaux avant-coureurs, il y a les modèles mathématiques et informatiques. Les auteurs en ont retenus deux. Le premier est le modèle HANDY (Human and Nature Dynamics), basé sur des équations utilisées en écologie pour les populations de prédateurs et de proies. Ici les prédateurs sont les humains, et les proies sont l'environnement. Deux paramètres sont ajoutés au modèle : la quantité globale de richesses accumulées et la répartition de celle ci entre deux castes, l'"élite" et le "peuple" (commoners). Plusieurs scénarios sont calculés en faisant varier les paramètres, et il se trouve que l'inégalité des richesses, en plus de ses effets néfastes pour l’environnement (consommation ostentatoire), est aussi un vecteur d'effondrement :

Dans une société inégalitaire où les élites s’approprient les richesses (C), ce qui semble plutôt correspondre à la réalité de notre monde, le modèle indique que l’effondrement est difficilement évitable, quel que soit le taux de consommation. Cependant, il y a une subtilité. À un faible taux de consommation global, comme on peut s’y attendre, la caste des élites se met à croître et accapare une grande quantité de ressources au détriment des commoners. Ces derniers, affaiblis par la misère et la faim, ne sont plus capables de fournir suffisamment de puissance de travail pour maintenir la société en place, ce qui mène à son déclin. Ce n’est donc pas l’épuisement des ressources, mais l’épuisement du peuple qui cause l’effondrement d’une société inégalitaire relativement sobre en consommation de ressources. Autrement dit, la population disparaît plus vite que la nature. Selon les chercheurs, le cas des Mayas, où la nature a récupéré après l’effondrement des populations, s’apparenterait à ce type de dynamique. Ainsi, même si une société est globalement « soutenable », la surconsommation d’une petite élite mène irrémédiablement à son déclin.

Le deuxième est plus connu, il s'agit du modèle World3, décris dans le fameux "rapport au Club de Rome". C'est un modèle avec beaucoup de paramètres, dont les six plus importants sont la population, la production industrielle, la production de services, la production alimentaire, le niveau de pollution et les ressources non-renouvelables. Souci : World3 indique un effondrement au cours du 21ème siècle.

Surpris par ce résultat, les chercheurs ont alors simulé des « solutions », soit autant de scénarios que l’humanité pourrait appliquer pour essayer de rendre le système stable. Que se passerait-il si on développait des technologies efficientes ? Si on découvrait de nouvelles ressources ? Si on stabilisait la population ou la production industrielle ? Si on augmentait les rendements agricoles ou si on contrôlait la pollution ? Les chercheurs ont alors changé les paramètres du modèle et testé tout cela en deux ou trois clics. Enter. Enter. Enter. Malheureusement presque tous les scénarios alternatifs ont mené à des effondrements, parfois plus catastrophiques que le premier. La seule manière de rendre notre « monde » stable, c’est-à-dire de déboucher sur une civilisation « soutenable », était de mettre en place toutes ces mesures simultanément et de commencer dès les années 1980 !

Troisième partie : collapsologie

La dernière partie commence par explorer l'effondrement sous ses multiples dimensions (profondeur, temps, espace...) notamment à l'aide de nombreux autres théoriciens. Une distinction importante est faite entre effondrement et crise, dans le second cas, il y a un certain "retour à la normale" après l’événement, contrairement au premier. Le concept n'est pas nouveau et beaucoup se sont penchés dessus, dont un certain Jared Diamond, qui a identifié 5 facteurs d'effondrements de civilisations :

Les dégradations environnementales ou déplétions des ressources, le changement climatique, les guerres, la perte soudaine de partenaires commerciaux, et les (mauvaises) réactions de la société aux problèmes environnementaux. Pour lui, les conditions écologiques seraient le principal facteur qui expliquerait l’effondrement des grandes cités mayas à l’aube du IXe siècle, des Vikings au XIe siècle ou de l’île de Pâques au XVIIIe siècle. Mais on aurait tort de réduire ces causes écologiques à de simples facteurs externes, puisqu’il précise (mais il n’est pas le seul) que le seul facteur commun à tous les effondrements est bien le cinquième, celui d’ordre sociopolitique : les dysfonctionnements institutionnels, les aveuglements idéologiques, les niveaux des inégalités (voir notre chapitre 8), et surtout l’incapacité de la société – et particulièrement des élites – à réagir de manière appropriée à des événements potentiellement catastrophiques.

Nous en avons 3 sur 5 : dégradations environnementales, changement climatique et problèmes sociopolitiques.

L'ingénieur russo-américain Dimitry Orlov s'est également intéressé aux effondrements en ayant étudié celui de l'URSS, il a mis au point une échelle comprenant 5 stades d'effondrements, par ordre de gravité croissant. Quand une société atteint un de ces stades, elle peut s'y arrêter et remonter ou s'approfondir au stade suivant.

NiveauEffetsEspoir perduExemple historique
FinancierBanques fermées, mesures d'urgences (nationalisations, assouplissements monétaires, aide sociale...)"Buisness as usual"Argentine, 2001
ÉconomiqueChaînes d’approvisionnement rompues, pénuries généralisées, économie informelle (troc, recyclage, brocante...)"Le marché y pourvoira"Cuba, années 1990
PolitiqueCouvre-feux, lois martiales, fin des services publics, corruption."Le gouvernement s'occupera de vous"URSS
SocialBandes, guerres civiles, fin des institutions."Vos pairs s'occuperont de vous"
CulturelFin de l'empathie, de la générosité, de la gentillesse..."L'humanité est bonne"

Plus récemment, Orlov a proposé d’ajouter un sixième et dernier stade à ce modèle, celui de l’effondrement écologique, où la possibilité de redémarrer une société dans un environnement épuisé serait très faible, pour ne pas dire impossible.

D'autres théoriciens comme les écologues C.S. Holling et L.H. Gunderson proposent un modèle cyclique en quatre phases :

une phase de croissance (r) où le système accumule de la matière et de l’énergie ; une phase de conservation (K) où le système devient de plus en plus interconnecté, rigide, et donc vulnérable ; une phase d’effondrement ou de « relâchement » (Ω) ; puis une phase rapide de réorganisation (α), menant à une autre phase de croissance (dans des conditions souvent très différentes), etc. Le système socio économique industriel actuel, si l’on considère qu’il peut être analysé par ce modèle, aurait fini sa phase de croissance (chapitre 1), se trouverait en phase de conservation, caractérisée par une vulnérabilité accrue (chapitres 2 et 3) et causée par une forte interconnectivité (chapitre 5) et une rigidification du système (chapitre 4).

Loin des modèles cycliques, on trouve des personnes comme le physicien et analyste David Korowicz, qui s'est interessé à la question de la durée d'un effondrement. Il décrit trois trajectoires différentes : un déclin linéaire, un déclin oscillant et un effondrement systémique :

Dans le modèle du déclin linéaire, les phénomènes économiques répondent proportionnellement à leurs causes. Il s’agit là d’une hypothèse irréaliste où, par exemple, la relation étroite entre la consommation de pétrole et le PIB resterait la même après le pic pétrolier. L’économie se mettrait donc à décroître progressivement et de manière contrôlée, laissant la possibilité et surtout le temps de construire une grande transition vers les énergies renouvelables tout en changeant profondément nos comportements. Cela correspond au plus optimiste des scénarios des objecteurs de croissance et des « transitionneurs » (voir chapitre 10). Selon le modèle du déclin oscillant, le niveau d’activité économique alterne entre des pics de relance et de récession, mais avec une tendance générale au déclin. On trouve une dynamique de ce type dans le cas du prix du pétrole qui, lorsqu’il est haut, plonge l’économie dans la récession, ce qui fait chuter le prix du baril et permet donc de relancer un semblant de croissance jusqu’à ce que le prix du baril atteigne à nouveau des sommets. Chaque récession dégrade toujours un peu plus les capacités de relance du système, qui perd alors progressivement de sa résilience. Les dettes s’amoncellent et la possibilité d’investir dans l’exploitation de combustibles fossiles et les énergies renouvelables se réduit à peau de chagrin. Ce modèle, qui rejoint (dans sa lenteur) celui de l’effondrement « catabolique » proposé par l’écrivain prospectiviste John Michael Greer, est bien plus réaliste que le premier et laisse encore une marge suffisante pour permettre aux sociétés de s’adapter. Il est aujourd’hui notre meilleur espoir, et ne dépend que des mesures que nous sommes en train de mettre en place. Basé sur l’étude beaucoup plus précise des dynamiques des systèmes complexes et des réseaux, le modèle d’effondrement systémique prête à notre civilisation le comportement d’un système hautement complexe, comme nous l’avons décrit aux chapitres 3 et 5. Mais le dépassement de points de basculement invisibles auquel s’ajoute une succession de petites perturbations peut entraîner des changements considérables dont l’ampleur est pratiquement impossible à anticiper. Les relations de causalité sont non-linéaires, car le système est entremêlé de nombreuses boucles de rétroaction. La conséquence de ce type de dynamique est qu’il est intellectuellement – et sans doute matériellement – difficile d’envisager une contraction progressive et contrôlée du système économique global tout en maintenant le niveau de vie nécessaire pour le contrôler. Autrement dit, ce modèle prédit des dépassements de seuils inaperçus dans un premier temps, mais aux effets ultérieurs combinés, non-linéaires et brutaux, plutôt que de paisibles oscillations ou une décroissance tranquille et maîtrisée du système économique actuel.

Les communautés en périphérie ou semi-périphérie de la civilisation seront les plus résilientes face à un effondrement. Exemple des communautés pratiquant l'agroécologie en Zambie ou au Malawi, qui furent peu touchées par la crise alimentaire provoquée par la crise de 2008.

Le livre finit sur un chapitre consacré à l'humain, vu dans la perspective d'un effondrement sous quatre angles :

Démographique : L'ONU prévoit 9 milliards d'individus en 2050, mais sans tenir compte des ressources, de l'énergie, de l’environnement ou de la pollution. Pour l'équipe Meadows, c'est l'inverse : une chute drastique de la population à partir de 2030. Cela traduit deux visions du monde : une vision cornucopienne et une vision malthusienne :

Ces deux imaginaires ne sont ni incompatibles ni exclusifs. Simplement, ils se succèdent. Les animaux vivent dans un monde malthusien où les limites de leur population et de leur consommation sont fixées par les capacités de charge du milieu. Les humains alternent entre des phases cornucopiennes et malthusiennes, enchaînant des cycles de civilisations depuis des milliers d’années : naissance, croissance, stagnation, déclin, puis renaissance ou extinction. La phase de croissance est évidemment cornucopienne, car l’environnement est encore relativement intact. Puis, à chaque « poussée démographique », l’étau des limites du milieu se resserre autour de la population, ce qui stimule l’innovation technique et permet de repousser artificiellement les premières limites physiques. Mais il arrive un moment où la civilisation se heurte à tant de limites et de frontières (en général, le climat, les ressources, la complexité et la politique) qu’elle bascule à nouveau brutalement dans un monde malthusien. Alors, l’effectif des populations chute car la société n’est plus capable de maintenir les conditions de sa propre survie.

Sociologique : Les ressources et le climat seront causes de conflits, comme ce fut le cas par le passé. Cependant, dans les situations catastrophiques (celles qui prennent les gens par surprise), on constate de l'entraide spontanée, comme après l'ouragan Katrina ou dans les tours du 11 septembre. L'effondrement n'étant pas une crise localisée, ponctuelle, il n'est pas sûr que cet élan d'entraide persiste. Une des piste suggérée est la suivante :

Le plus important, pour ne pas dire l’urgence, serait de reconstruire un tissu social local solide et vivant, afin d’instaurer progressivement un climat de confiance, c’est-à-dire en fin de compte un « capital social » qui puisse servir en cas de catastrophe. Il faut donc dès maintenant sortir de chez soi et créer des « pratiques » collectives , ces aptitudes à vivre ensemble que notre société matérialiste et individualiste a méthodiquement et consciencieusement détricotées au cours de ces dernières décennies. Nous en sommes convaincus, ces compétences sociales sont notre seule vraie garantie de résilience en temps de catastrophe.

Psychologique : Les cerveaux humains sont peu équipés pour penser les problèmes systémiques et à long terme, contrairement à ceux qui sont simples et immédiat : un rapport du GIEC déclenche moins d'adrénaline qu'un loup qui s'approche de nous en grognant. À cela s'ajoutent deux autres effets : la croyance dans certains mythes (le marché/le progrès technique va nous sauver) et l'habituation, illustré par la grenouille qui se laisse cuire dans une eau chauffant progressivement :

Nous nous sommes habitués à un baril qui dépasse les 100 dollars, alors que dans les années 1980 et 1990, il n’était qu’à 20 dollars. Dans le même ordre d’idée, quel pêcheur professionnel anglais réalise qu’avec toutes les technologies de son bateau, il ne ramène plus que 6 % de ce que ses ancêtres en bateaux à voile débarquaient 120 ans plus tôt après avoir passé le même temps en mer?

Pour terminer sur l'aspect psychologique, les auteurs dressent cinq profils de réactions face à l'effondrement :

Politique : Il est fait mention des initiatives locales comme les villes en transition et les AMAP, qui font coexister l'ancien monde et le nouveau. Une politique de transition peut être vu comme une sorte de "débranchement" :

Se débrancher du système industriel implique de renoncer à l’avance à tout ce qu’il fournit (nourriture industrielle, vêtements, déplacements rapides, objets divers, électronique, etc.), avant d’être obligé de subir des pénuries. Mais se débrancher rapidement et tout seul revient pour beaucoup de monde à mourir. En effet, peu d’habitants des pays riches savent manger, construire leur maison, s’habiller ou se déplacer sans l’aide du système industriel. Tout l’enjeu consiste donc à s’organiser pour retrouver les savoirs et les techniques qui permettent de reprendre possession de nos moyens de subsistance, avant de pouvoir se débrancher.

Certains vont plus loin et proposent un débranchement général, immédiat, pour déclencher l'effondrement rapidement et ainsi limiter les dégâts sur la biosphère. A une échelle nationale, une politique de l'effondrement serait le rationnement ainsi que la mobilisation de la population dans l'agriculture, il faut donc aller voir dans l'histoire des pénuries ou des guerres. Cuba par exemple, a réussi une transition vers l'agroécologie quand il s'est retrouvé isolé dans les années 1990.