Reading notes / Notes de lecture

Better Never to Have Been

Dans ce livre, publié en 2006, David Benatar va défendre les affirmations suivantes :

Il examinera ensuite les implications de sa position sur des sujets tels que la liberté de procréation, l'avortement, la population et l'extinction.


Chapitre 1 - Introduction

Benatar commence par donner un résumé très rapide de la raison pour laquelle venir au monde est toujours un préjudice :

Bien que les bonnes choses dans la vie d'une personne la fassent aller mieux qu'elle ne l'aurait fait autrement, on n'aurait pas pu être privé par leur absence si on n'avait pas existé. Ceux qui n'existent jamais ne peuvent pas être privés. Cependant, en venant au monde, on subit des préjudices assez graves qui n'auraient pas pu nous atteindre si on n'avait pas existé.

L'ouvrage se concentre sur les humains, mais il précise que ses arguments s'appliquent à tous les êtres sentients.

Il distingue ensuite les positions anti-natalistes fondées sur une aversion pour les enfants ou sur l'intérêt des parents potentiels à avoir plus de liberté, et son anti-natalisme, fondé sur l'évitement de la souffrance. Mais quelle que soit leur origine, les positions anti-natalistes vont à l'encontre d'un fort biais pro-natal, enraciné dans les origines évolutionnaires de l'homme. Ce biais se manifeste souvent lorsque les personnes qui n'ont pas procréé sont considérées comme "égoïstes". Benanar objecte : si l'on s'abstient de procréer pour ne pas infliger le préjudice de venir au monde, on fait preuve d'altruisme et non d'égoïsme.

Le pro-natalisme se manifeste également dans les politiques des nations, démocratiques ou dictatoriales, et dans le domaine moral :

Les parents ayant des personnes à charge sont en quelque sorte censés compter davantage. Si, par exemple, il existe une certaine ressource rare - un rein de donneur peut-être - et que, parmi les deux receveurs potentiels, l'un est un parent de jeunes enfants et l'autre non, le parent, toutes choses égales par ailleurs, sera probablement favorisé. Laisser mourir un parent, c'est non seulement contrecarrer la préférence de cette personne d'être sauvée, mais aussi les préférences de ses enfants que leur parent soit sauvé. Il est vrai, bien sûr, que la mort du parent causera un préjudice à un plus grand nombre de personnes, mais il y a néanmoins quelque chose à dire contre le fait de favoriser les parents. Augmenter la valeur d'une personne en ayant des enfants pourrait être comme augmenter la valeur d'une personne en prenant des otages. Nous pourrions trouver cela injuste et décider de ne pas le récompenser. Cela peut rendre la vie des enfants pire, mais le coût de la prévention de ce résultat doit-il être placé sur les épaules de ceux qui n'ont pas d'enfants ?

Une autre distinction est faite entre sa position, et la position selon laquelle le monde est trop horrible pour faire naître quelqu'un. Il n'est pas d'accord avec elle en ce sens qu'il pourrait y avoir beaucoup moins de souffrance, et pourtant la procréation serait toujours inacceptable, puisqu'il n'y a pas de bénéfice net à venir au monde.

Chapitre 2 - Pourquoi venir au monde est toujours un préjudice

Venir au monde peut-il être un préjudice ?

Le bon sens suggère qu'une vie peut être si mauvaise que venir au monde avec une telle vie est très certainement un préjudice. Mais il existe un problème de non-identité (ou paradoxe des individus futurs) :

Le problème se pose dans les cas où la seule alternative à la naissance d'une personne ayant une mauvaise qualité de vie est de ne pas la faire naître du tout. Dans de telles circonstances, il est impossible de faire naître la même personne sans la condition considérée comme un préjudice. Cela peut se produire, par exemple, lorsque les futurs parents sont porteurs d'une grave maladie génétique qu'ils transmettront, pour une raison ou une autre, à leur progéniture. Le choix est soit de donner naissance à un enfant défectueux, soit de ne pas donner naissance à cet enfant du tout. Dans d'autres cas, l'état défectueux n'est pas imputable à la constitution de la personne, génétique ou autre, mais plutôt à son environnement. C'est le cas pour une jeune fille de quatorze ans qui a un enfant mais qui, en raison de son jeune âge, n'est pas en mesure de lui offrir des opportunités adéquates. Si elle conçoit un autre enfant lorsqu'elle sera plus âgée et mieux à même de s'en occuper, ce ne sera pas le même enfant (car il aura été formé à partir de gamètes différents). L'alternative à la naissance d'un enfant socialement compromis à l'âge de quatorze ans est donc de ne pas le faire naître du tout, qu'elle ait ou non un autre enfant par la suite.

Des vies qui valent la peine d'être vécues et des vies qui ne valent pas la peine d'être vécues

Certains affirment que le fait de venir au monde ne peut constituer un préjudice, même avec des déficiences qui rendent la vie impossible, en uttilisant ce genre d'arguments :

  1. Pour qu'une chose porte préjudice à quelqu'un, elle doit mettre cette personne dans une pire situation.
  2. La relation "pire" est une relation entre deux états.
  3. Donc, pour que quelqu'un soit plus mal dans un certain état (comme l'existence), l'état alternatif, avec lequel il est comparé, doit être un état dans lequel il est moins mal (ou mieux).
  4. Mais la non-existence n'est pas un état dans lequel quelqu'un peut être, et ne peut donc pas être comparé à l'existence.
  5. Par conséquent, venir au monde ne peut pas être pire que de ne jamais venir au monde.
  6. Par conséquent, venir au monde ne peut pas être un préjudice.

On peut rejeter la première prémisse :

Pour qu'une chose porte préjudice à quelqu'un, il peut suffire qu'elle soit mauvaise pour cette personne, à condition que l'alternative n'ait pas été mauvaise. Selon cette vision du préjudice, venir au monde peut être un préjudice.

Joel Feinberg objecte différemment, en contestant l'hypothèse selon laquelle pour être pire dans une condition particulière, il faut que l'on ait existé dans la condition alternative avec laquelle on la compare. Il propose une analogie avec le suicide :

Lorsqu'une personne affirme que sa vie est si mauvaise qu'elle serait mieux morte, elle ne veut pas nécessairement dire littéralement que si elle mourait, elle existerait dans un état meilleur (bien que certaines personnes le croient). Elle peut plutôt vouloir dire qu'elle préfère ne pas être, plutôt que de continuer à vivre dans sa condition. Elle a déterminée que sa vie ne vaut pas la peine d'être vécue - qu'elle ne vaut pas la peine de continuer à être. Tout comme la vie peut être si mauvaise que cesser d'exister est préférable, la vie peut être si mauvaise que ne jamais venir au monde est préférable. Comparer l'existence d'une personne avec sa non-existence ne revient pas à comparer deux conditions possibles de cette personne. Il s'agit plutôt de comparer son existence à un état des choses alternatif dans lequel elle n'existe pas.

"Une vie qui vaut la peine d'être vécue" est ambigue :

On pense généralement que les cas où la déficience, bien que grave, n'est pas si importante qu'elle rend la vie impossible sont plus difficiles que les cas où la déficience est si importante qu'elle rend la vie impossible. Il a été dit que, puisque les premiers cas sont, par définition, des cas de vie qui valent la peine d'être vécus, on ne peut pas juger qu'il est préférable de ne jamais exister que d'exister avec une telle vie. La force de cet argument repose toutefois sur une ambiguïté cruciale de l'expression "une vie qui vaut la peine d'être vécue" - une ambiguïté que je vais maintenant examiner.

Des vies qui valent la peine d'être commencées et des vies qui valent la peine d'être continuées

L'expression "une vie qui vaut la peine d'être vécue" peut signifier soit une vie qui vaut la peine d'être continuée (sens de la vie présente), soit une vie qui vaut la peine d'être commencée (sens de la vie future). Il est important de faire cette distinction, car nous exigeons généralement une justification plus solide pour mettre fin à une vie que pour ne pas en commencer une. Par exemple, la plupart des gens pensent que le fait de vivre sans un membre ne rend pas la vie si mauvaise qu'il vaille la peine d'y mettre fin, mais la plupart des gens pensent aussi qu'il vaut mieux ne pas donner naissance à quelqu'un qui sera privé d'un membre. Benatar fait une analogie avec le cinéma : un film peut être suffisamment mauvais pour qu'il soit préférable de ne pas aller le voir, mais pas si mauvais qu'il vaut mieux partir avant la fin.

Puisque nous nous sommes débarrassés de l'ambiguïté, il n'y a rien de paradoxal dans l'affirmation selon laquelle il est préférable de ne pas commencer une vie qui mériterait d'être continuée. Mais la distinction entre les cas de vie présente et les cas de vie future est-elle moralement pertinente ? Certains arguments menacent de diminuer l'importance de cette distinction. Benatar répondra à chacun d'eux.

Le premier vient de Derek Parfit :

Il suggère que si je suis avantagé par le fait que ma vie soit sauvée juste après son commencement (même si c'est au prix de l'acquisition d'une déficience grave mais non catastrophique), alors il n'est pas invraisemblable de prétendre que je suis avantagé par le fait que ma vie commence (avec une telle déficience). Cet argument vise à minimiser l'importance de la distinction entre les cas de vie future et de vie présente. Selon cette position, il n'est pas déraisonnable de penser que les déficiences infligées pour sauver une vie sont moralement comparables à des déficiences similaires qui sont inséparables de la naissance d'une vie.

Problème : venir au monde dans un sens moralement pertinent est un long processus, pas un évenement :

Bien que la plupart des gens soient d'accord pour dire que sauver ma vie maintenant au prix de ma jambe me conférerait un bénéfice net, beaucoup moins de gens penseraient que sauver la vie d'un conceptus au prix de sa vie sans jambe constitue un bénéfice net. C'est pourquoi beaucoup plus de personnes soutiennent les avortements "thérapeutiques", même pour des défauts non catastrophiques, que de personnes condamnent les amputations qui sauvent la vie d'adultes ordinaires. Certaines personnes sont même favorables à l'infanticide ou au moins à l'euthanasie passive pour les nouveau-nés souffrant de handicaps graves mais non catastrophiques, même si elles ne jugeraient pas qu'une conduite similaire est dans l'intérêt des enfants non nourrissons et des adultes souffrant de tels défauts. Ceux qui existent (au sens moralement pertinent) ont intérêt à exister. Ces intérêts, une fois pleinement développés, sont généralement très forts et, en cas de conflit, ils l'emportent sur l'intérêt à ne pas être handicapé. Cependant, lorsqu'il n'y a pas d'intérêt à exister (ou un intérêt très faible), le fait de causer des déficiences (en faisant naître des personnes présentant des défauts) ne peut être justifié par la protection de ces intérêts. L'étendue de la catégorie des êtres sans intérêts (ou avec des intérêts très faibles) à exister est un sujet de controverse (inclut-elle les embryons, les zygotes, les nourrissons ?). Dans le chapitre 5, je soutiens qu'au moins les zygotes, les embryons et les fœtus, jusqu'à un stade assez avancé de la gestation, n'ont pas commencé à exister dans un sens moralement pertinent et que le fait de commencer à exister dans un sens moralement pertinent est un processus graduel.

Est-ce que cette vision gradualiste peut être utilisée contre Benatar ? :

Certains pourraient penser que la position gradualiste sur le fait de venir au monde remet en cause ma distinction entre les cas de vie future et les cas de vie présente. Ce n'est cependant pas vrai. Le fait que la distinction entre les deux soit graduelle ne la rend pas nulle. Rien de ce que j'ai dit n'exclut la possibilité d'un entre-deux reliant les deux types de cas. La signification morale de la distinction n'est pas non plus compromise tant que l'on ne rejette pas, comme je ne le fais pas, une sensibilité morale au gradualisme du continuum qui relie les cas clairs de vie future aux cas clairs de vie présente.

Le second vient de Joel Feinberg. Il commence par établir une distinction entre les jugements d'adultes compétents ou d'enfants plus âgés et matures selon lesquels il aurait été préférable qu'ils ne viennent jamais au monde, et les jugements similaires portés par des mandataires au nom de ceux qui sont si extrêmement handicapés qu'ils ne peuvent pas porter de jugement eux-mêmes. Dans ce dernier cas, il ne suffit pas, selon lui, que le jugement sur la préférence de ne jamais exister soit conforme à la raison. Il doit être dicté (ou requis) par la raison, et cette exigence n'est satisfaite que lorsque la mort est préférable pour la personne handicapée. Dans le premier cas, il admet que le jugement soit simplement conforme à la raison (c'est-à-dire non irrationnel). Benatar répond :

La raison pour laquelle ce principe est en conflit avec ma distinction entre les cas de vie actuelle et les cas de vie future est qu'il exige implicitement que nous jugions les cas de vie future à travers le prisme des cas de vie actuelle. Soit la vie doit être si mauvaise qu'il ne vaudrait pas la peine de la continuer - le critère du professeur Feinberg pour les décisions par procuration - soit il doit s'agir d'un cas où les personnes déjà existantes atteintes de ce handicap préféreraient ne jamais venir au monde - son critère pour les personnes dont le handicap n'altère pas leur compétence à décider (rétrospectivement !) pour elles-mêmes.

Cependant, c'est précisément parce que le principe du professeur Feinberg nous oblige à adopter le point de vue de personnes déjà existantes qu'il est inadéquat. En nous demandant si une vie vaut la peine d'être commencée, nous ne devrions pas avoir à considérer si elle ne vaudrait pas la peine d'être continuée. Nous ne devrions pas non plus avoir à faire appel aux préférences des personnes déjà existantes concernant leur propre vie pour porter un jugement sur les vies futures. Comme je le montrerai dans la deuxième section du chapitre suivant, les auto-évaluations de la qualité de la vie ne sont pas fiables.

Pourquoi venir au monde est toujours un préjudice

La plupart des gens pensent qu'il n'y a rien de mal dans le fait de faire venir au monde des personnes dont l'existence serait, dans l'ensemble, bonne. Cette position est basée sur une autre : "le fait d'être amené à l'existence (avec des perspectives de vie décentes) est un avantage (même si le fait de ne pas être amené à l'existence n'est pas un préjudice)."

Benatar affirme que venir au monde est toujours un préjudice, mais pas que c'est nécessairement un préjudice. Ses arguments ne s'appliquent pas aux cas hypothétiques dans lesquels une vie ne contient que du bon et rien de mauvais. Pour ces cas, il dit que ce n'est ni un préjudice ni un avantage, et que nous devrions être indifférents entre une telle existence et le fait de ne jamais exister. Mais aucune vie réelle n'est ainsi.

Pour lui, tout le monde souffre à un moment de sa vie, et tout le monde meurt (cependant, certaines personnes considèrent que la mort n'est pas un préjudice, voir le chapitre 7).

Nous ne pensons pas souvent aux préjudices qui attendent tout nouveau-né - douleur, déception, anxiété, chagrin et mort. Pour un enfant donné, nous ne pouvons pas prédire la forme que prendront ces préjudices ni leur gravité, mais nous pouvons être sûrs qu'au moins certains d'entre eux se produiront. Rien de tout cela n'arrive aux personnes non-existantes.

Les optimistes répondront que la vie contient aussi du plaisir, de la joie, de la satisfaction :

Non seulement les mauvaises choses mais aussi les bonnes choses n'arrivent qu'à ceux qui existent. Le plaisir, la joie et la satisfaction ne peuvent être éprouvés que par ceux qui existent. Ainsi, diront les optimistes, nous devons peser les plaisirs de la vie contre les maux. Tant que les premiers l'emportent sur les seconds, la vie vaut la peine d'être vécue. Venir au monde avec une telle vie est, selon cette position, un bénéfice.

L'asymétrie du plaisir et de la douleur

Le problème de cette position optimiste est qu'il existe une asymétrie entre les bénéfices et les préjudices, par exemple entre le plaisir et la douleur. Il n'est pas controversé de dire :

1) La présence de douleur est mauvaise.

2) La présence de plaisir est bonne.

Mais il n'y a pas de symmétrie en ce qui concerne l'absence :

3) L'absence de douleur est bonne, même si ce bien n'est apprécié par personne.

4) L'absence de plaisir n'est pas mauvaise, sauf s'il y a quelqu'un pour qui cette absence est une privation.

Benatar défend l'affirmation (3) :

Le jugement porté en (3) l'est en référence aux intérêts (potentiels) d'une personne qui existe ou n'existe pas. On pourrait objecter que, puisque (3) fait partie du scénario dans lequel cette personne n'existe jamais, (3) ne peut rien dire sur une personne existante. Cette objection serait erronée car (3) peut dire quelque chose sur un cas contrefactuel dans lequel une personne qui existe réellement n'a jamais existé. En ce qui concerne la douleur d'une personne existante, (3) dit que l'absence de cette douleur aurait été bonne même si elle n'aurait pu être obtenue que par l'absence de la personne qui la subit maintenant. En d'autres termes, jugée en termes d'intérêts d'une personne qui existe maintenant, l'absence de la douleur aurait été bonne même si cette personne n'aurait alors pas existé. Considérons maintenant ce que (3) dit de la douleur absente d'une personne qui n'existe jamais - une douleur dont l'absence est assurée par le fait de ne pas rendre une personne potentielle réelle. L'affirmation (3) dit que cette absence est bonne lorsqu'elle est jugée en termes d'intérêts de la personne qui aurait autrement existé. Nous pouvons ne pas savoir qui aurait été cette personne, mais nous pouvons toujours dire que, quelle que soit cette personne, l'évitement de ses douleurs est bon lorsqu'il est jugé en termes de ses intérêts potentiels. S'il existe un sens (évidemment vague) dans lequel l'absence de douleur est bonne pour la personne qui aurait pu exister mais qui n'existe pas, c'est celui-là. Il est clair que (3) n'implique pas l'affirmation littérale et absurde selon laquelle il existe une personne réelle pour laquelle l'absence de douleur est bonne.

Puis il défend l'asymétrie entre (3) et (4) via son pouvoir explicatif. Elle peut expliquer 4 autres asymétries :

Premièrement, l'asymétrie entre le devoir de ne pas faire naître des personnes souffrantes et l'absence de devoir de faire naître des personnes heureuses. Benatar note les objections possibles :

On pourrait suggérer que la raison pour laquelle nous avons le devoir d'éviter de faire naître des personnes souffrantes, mais pas le devoir de faire naître des personnes heureuses, est que nous avons des devoirs négatifs d'éviter le préjudice, mais pas de devoirs positifs correspondants d'apporter le bonheur. Les jugements sur nos devoirs de procréation sont donc comme les jugements sur tous les autres devoirs. Je conviens maintenant que pour ceux qui nient que nous ayons des devoirs positifs, il s'agirait en effet d'une explication alternative à celle que j'ai fournie. Cependant, même parmi ceux qui pensent que nous avons des devoirs positifs, seuls quelques-uns pensent également que parmi ceux-ci se trouve le devoir de faire naître des gens heureux.

On pourrait maintenant suggérer qu'il existe également une autre explication au fait que ceux qui acceptent les devoirs positifs ne pensent généralement pas que ceux-ci incluent le devoir de faire naître des personnes heureuses. On pense généralement que nos devoirs positifs ne peuvent pas inclure le devoir de créer beaucoup de plaisir si cela exige un sacrifice important de notre part. Étant donné que le fait d'avoir des enfants implique un sacrifice considérable (du moins pour la femme enceinte), c'est cela, et non l'asymétrie, qui explique le mieux pourquoi il n'existe pas de devoir de faire naître des personnes heureuses.

Le problème avec cette vision des devoirs positifs prenant en compte le sacrifice, est que nous aurions le devoir de faire naître des gens heureux si le sacrifice était faible ou nul. Mais cette vision ne prend pas en compte le fait que les intérêts des personnes potentielles ne peuvent pas fonder un devoir de les faire exister :

En d'autres termes, l'asymétrie des devoirs de procréation (tout bien considéré) repose sur une autre asymétrie - une asymétrie des raisons morales de procréation. Selon cette asymétrie, bien que nous ayons une raison morale forte, fondée sur les intérêts des personnes potentielles, pour éviter de créer des personnes malheureuses, nous n'avons pas de raison morale forte (fondée sur les intérêts des personnes potentielles) pour créer des personnes heureuses. Il s'ensuit que, bien que l'étendue du sacrifice puisse être pertinente pour d'autres devoirs positifs, elle est discutable dans le cas d'un prétendu devoir de faire naître des personnes heureuses.

Deuxièmement, une asymétrie des raisons de procréer, basée sur les intérêts de l'enfant potentiel :

Alors qu'il est étrange (sinon incohérent) de donner comme raison d'avoir un enfant le fait que l'enfant que l'on a en bénéficiera, il n'est pas étrange d'invoquer les intérêts d'un enfant potentiel pour éviter de donner naissance à un enfant. Si l'on avait des enfants pour leurs propres bénéfices, il y aurait une plus grande raison morale pour au moins beaucoup de gens d'avoir plus d'enfants. En revanche, notre souci du bien-être des enfants potentiels qui en souffriraient est une base solide pour décider de ne pas avoir d'enfant. Si les plaisirs absents étaient mauvais indépendamment du fait qu'ils soient mauvais pour quiconque, alors avoir des enfants pour leur propre bien ne serait pas étrange. Et s'il n'était pas vrai que les douleurs absentes sont bonnes même lorsqu'elles ne sont bonnes pour personne, alors nous ne pourrions pas dire qu'il est bon d'éviter de donner naissance à des enfants qui souffrent.

Troisièmement, une asymétrie dans nos jugements rétrospectifs sur le fait de faire naître ou non des personnes :

On peut regretter d'avoir fait naître des gens, mais aussi de ne pas avoir fait naître des gens. Cependant, seule la mise à l'existence de personnes peut être regrettée dans l'intérêt de la personne dont l'existence dépendait de notre décision. Ce n'est pas parce que ceux qui ne sont pas amenés à l'existence sont indéterminés. C'est plutôt parce qu'ils n'existent jamais. Nous pouvons regretter, dans l'intérêt d'une personne indéterminée mais existante, qu'un bien ne lui ait pas été accordé, mais nous ne pouvons pas regretter, dans l'intérêt de quelqu'un qui n'existe jamais et qui ne peut donc pas être privé, un bien que cette personne qui n'existe jamais n'expérimente jamais. On peut avoir du chagrin de ne pas avoir eu d'enfants, mais pas parce que les enfants qu'on aurait pu avoir ont été privés d'existence. Le remords de ne pas avoir eu d'enfants est un remords pour nous-mêmes - le regret d'avoir manqué les expériences de la procréation et de l'éducation des enfants. Cependant, nous regrettons d'avoir mis au monde un enfant à la vie malheureuse, et nous le regrettons pour l'enfant, même si c'est aussi pour nous. La raison pour laquelle nous ne nous lamentons pas de ne pas avoir donné naissance à quelqu'un est que les plaisirs absents ne sont pas mauvais.

Enfin, une asymétrie entre les souffrances lointaines et les parties inhabitées de la Terre ou de l'univers :

Alors que, du moins lorsque nous pensons à eux, nous sommes à juste titre tristes pour les habitants d'un pays étranger dont la vie est caractérisée par la souffrance, lorsque nous entendons dire qu'une île est dépeuplée, nous ne sommes pas pareillement tristes pour les personnes heureuses qui, si elles avaient existé, auraient peuplé cette île. De même, personne ne pleure vraiment pour ceux qui n'existent pas sur Mars, s'apitoyant sur le fait que ces êtres potentiels ne peuvent pas profiter de la vie. Pourtant, si nous savions qu'il y avait une vie sentiente sur Mars mais que les Martiens souffraient, nous le regretterions pour eux. Il n'est pas nécessaire (mais possible) d'affirmer ici que nous regretterions leur existence même. Le fait que nous regretterions la souffrance au sein de leur vie est suffisant pour soutenir l'asymétrie que je défends. En bref, nous regrettons la souffrance mais pas les plaisirs absents de ceux qui auraient pu exister.

Une objection serait de dire que bien que nous ne regrettons pas le plaisir absent des personnes non-existantes, nous ne nous réjouissons pas de leur absence de souffrance (sinon nous serions tout le temps ravis). Benatar répond que le contraire du regret n'est pas la joie :

Ainsi, la question importante n'est pas de savoir si nous ressentons de la joie - le contraire de la mélancolie - à propos des douleurs absentes, mais si la douleur absente est le contraire de regrettable - ce que nous pourrions appeler "bienvenue" ou simplement "bonne". La réponse, je l'ai suggéré, est affirmative. Si l'on nous demande si l'absence de souffrance est une bonne caractéristique du fait de ne jamais exister, nous devons répondre que oui

Les jugements soutenus par l'asymétrie entre 3 et 4 ne sont pas universellement partagés :

Par exemple, les utilitaristes positifs - qui s'intéressent non seulement à la minimisation de la douleur mais aussi à la maximisation du plaisir - auraient tendance à déplorer l'absence de plaisir supplémentaire possible, même si personne n'en est privé. Selon leur position, il y a un devoir de faire exister les gens si cela peut accroître le bonheur. Cela ne veut pas dire que tous les utilitaristes positifs doivent rejeter la position sur l'asymétrie de (3) et (4). Les utilitaristes positifs qui sont favorables à l'asymétrie pourraient établir une distinction entre (i) la promotion du bonheur des personnes (qui existent ou existeront indépendamment de nos choix) et (ii) l'augmentation du bonheur en créant des personnes. Il s'agit de la désormais célèbre distinction entre (i) rendre les gens heureux et (ii) créer des gens heureux. Les utilitaristes positifs qui établissent cette distinction pourraient alors, conformément à l'utilitarisme positif, juger que seul (i) est une exigence de la moralité. C'est la version préférable de l'utilitarisme positif. En considérant que (ii) est également une exigence de la moralité, on suppose à tort que la valeur du bonheur est primordiale et que la valeur des personnes en est dérivée. Or, il n'est pas vrai que les personnes ont de la valeur parce qu'elles apportent un supplément de bonheur. Au contraire, le bonheur supplémentaire est précieux parce qu'il est bon pour les gens, parce qu'il améliore la vie des gens. Penser autrement, c'est penser que les gens ne sont que des moyens de produire du bonheur. Ou, pour utiliser une autre image célèbre, c'est traiter les personnes comme de simples récipients de bonheur. Mais contrairement à un simple récipient, qui est indifférent à la quantité d'une substance précieuse qu'il contient, une personne se soucie de la quantité de bonheur qu'elle possède.

Benatar montre que, compte tenu de l'asymétrie, c'est toujours un préjudice de venir au monde, en comparant deux scénarios, l'un dans lequel un être appelé X existe, et l'autre dans lequel X n'existe jamais (Figure 2.1) :

Scénario A (X existe)Scénario B (X n'existe jamais)
(1) Présence de douleur (mauvaise)(3) Absence de douleur (bonne)
(2) Présence de plaisir (bonne)(4) Absence de plaisir (non-mauvaise)

Comparer le fait d'exister et le fait de ne jamais exister

Lorsque nous comparons la douleur dans les deux scénarios, la non-existence l'emporte (absence de douleur > présence de douleur). Mais pour le plaisir, le plaisir de X n'est pas un avantage par rapport à son absence dans la non-existence de X, puisque cette absence est "pas mauvaise", au lieu de "mauvaise". On pourrait objecter que "bon" est toujours meilleur que "pas mauvais", mais :

L'erreur sous-jacente à cette objection, cependant, est qu'elle traite l'absence de plaisir dans le scénario B comme si elle était semblable à l'absence de plaisir dans le scénario A - une possibilité qui n'apparaît pas dans ma matrice, mais qui est implicite dans (4) de ma description originale de l'asymétrie. J'y disais que l'absence de plaisir n'est pas mauvaise à moins qu'il y ait quelqu'un pour qui cette absence est une privation. L'implication ici est que lorsqu'un plaisir absent est une privation, il est mauvais. Évidemment, quand je dis que c'est mauvais, je ne veux pas dire que c'est mauvais de la même manière que la présence de la douleur est mauvaise. Ce que je veux dire, c'est que le plaisir absent est relativement (plutôt qu'intrinsèquement) mauvais. En d'autres termes, il est pire que la présence du plaisir. Mais c'est parce que X existe dans le scénario A. Il aurait été préférable que X ait le plaisir dont il est privé. Au lieu d'un état mental agréable, X a un état neutre. Les plaisirs absents dans le scénario B, en revanche, ne sont pas des états neutres d'une personne. Ils ne sont pas des états d'une personne tout court. Bien que les plaisirs dans A soient meilleurs que les plaisirs absents dans A, les plaisirs dans A ne sont pas meilleurs que les plaisirs absents dans B.

Pour bien comprendre en quoi (2) n'est pas un avantage par rapport à (4), Benatar propose une analogie, basée sur une comparaisons entre deux personnages imaginaires :

S (Sick) est sujet à des épisodes réguliers de maladie. Heureusement pour lui, il est aussi constitué de telle sorte qu'il récupère rapidement. H (Healthy) n'a pas la capacité de se rétablir rapidement, mais il ne tombe jamais malade. Il est mauvais pour S qu'il tombe malade et il est bon pour lui qu'il se rétablisse rapidement. Il est bon que H ne tombe jamais malade, mais il n'est pas mauvais qu'il n'ait pas la capacité de guérir rapidement. La capacité de guérison rapide, bien qu'elle soit un bien pour S, n'est pas un avantage réel sur H. Cela est dû au fait que l'absence de cette capacité n'est pas mauvaise pour H. Cela-même étant dû au fait que l'absence de cette capacité n'est pas une privation pour H. H n'est pas plus mal loti qu'il ne l'aurait été s'il avait eu les pouvoirs de récupération de S. S n'est pas mieux loti que H en aucune façon, même si S est mieux loti que lui-même ne l'aurait été s'il n'avait pas eu la capacité de guérison rapide.

Benatar attaque l'"analyse des optimistes", qui fait propose simplement de comparer entre (1) and (2). D'abord en faisant remarquer qu'une telle analyse ignore la partie droite du tableau :

Si nous voulons déterminer si la non-existence est préférable à l'existence, ou vice versa, nous devons alors comparer les côtés gauche et droit du diagramme, qui représentent les scénarios alternatifs dans lesquels X existe et dans lesquels X n'existe jamais. Comparer les quadrants supérieur et inférieur de gauche ne nous dit pas si le scénario A est préférable au scénario B ou vice versa, à moins que les quadrants (3) et (4) ne soient rendus non pertinents. Cela pourrait être le cas s'ils étaient tous deux évalués à "zéro". Dans cette hypothèse, on peut considérer que A est meilleur que B si (2) est supérieur à (1) ou, en d'autres termes, si (2) moins (1) est supérieur à zéro. Mais cela pose un deuxième problème. Évaluer les quadrants (3) et (4) à zéro revient à n'accorder aucune valeur positive à (3), ce qui est incompatible avec l'asymétrie que j'ai défendue.

Ensuite, en soulignant qu'elle confond une vie qui vaut la peine d'être commencée et une vie qui vaut la peine d'être continuée :

Les optimistes nous disent que l'existence est préférable à la non-existence si (2) est supérieur à (1). Mais qu'entend-on ici par "non-existence" ? Est-ce que cela signifie "ne jamais exister" ou "cesser d'exister" ? Ceux qui ne regardent que (1) et (2) ne semblent pas faire de distinction entre ne jamais exister et cesser d'exister. Pour eux, une vie vaut la peine d'être vécue (c'est-à-dire commencée et continuée) si (2) est supérieur à (1), sinon elle ne vaut pas la peine d'être vécue (c'est-à-dire ni commencée ni continuée). Le problème avec ceci, comme j'ai déjà argumenté, est qu'il y a de bonnes raisons de faire la distinction entre les deux. Pour qu'une vie ne vaille pas la peine d'être continuée, elle doit être pire qu'elle ne devrait l'être pour qu'il ne vaille pas la peine de la commencer. Ceux qui envisagent non seulement le scénario A mais aussi le scénario B considèrent clairement quelles vies méritent d'être commencées. Pour déterminer quelles vies méritent d'être poursuivies, il faudrait comparer le scénario A avec un troisième scénario, dans lequel X cesse d'exister.

Enfin, la qualité d'une vie ne se détermine pas simplement en soustrayant le mauvais du bon. Comme je le montrerai dans la première section du prochain chapitre, l'évaluation de la qualité d'une vie est beaucoup plus compliquée que cela.

Une autre position possible consiste à accepter l'asymétrie de la figure 2.1, à admettre que nous devons comparer le scénario A au scénario B, mais à nier que cela mène à la conclusion que B est toujours préférable à A. Nous devons attribuer des valeurs positives, négatives ou neutres à chacun des quadrants (Figure 2.4) :

Scénario A (X existe)Scénario B (X n'existe jamais)
(1) Présence de douleur (-)(3) Absence de douleur (+)
(2) Présence de plaisir (+)(4) Absence de plaisir (0)

Si (1) est à -n, (3) à +n, et (4) à 0, alors venir au monde est préférable quand (2) est plus grand que 2 fois n. Objection :

De nombreux problèmes se posent à cet égard. Par exemple, comme je le montrerai dans la première section du chapitre suivant, ce n'est pas seulement le rapport entre le plaisir et la douleur qui détermine la qualité d'une vie, mais aussi la quantité de douleur. Une fois qu'un certain seuil de douleur est dépassé, aucune quantité de plaisir ne peut le compenser.

Lorsque nous appliquons cette logique quantitative à l'analogie entre Sick et Healthy, nous constatons qu'elle est erronée (Figure 2.5) :

SH
(1) Présence de maladie (-)(3) Absence de maladie (+)
(2) Présence de la capacité de se rétablir rapidement (+)(4) Absence de la capacité de se rétablir rapidement (0)

Suivant la figure 2.5, il vaudrait mieux être S que H si la valeur de (2) était plus de deux fois supérieure à celle de (1). (Ce serait vraisemblablement le cas lorsque la quantité de souffrance que (2) épargne à S est plus de deux fois supérieure à la quantité dont S souffre réellement). Mais cela ne peut pas être juste, car il est sûrement toujours préférable d'être H (une personne qui ne tombe jamais malade et qui n'est donc pas désavantagée par son manque de capacité à se rétablir rapidement). Le point essentiel est que (2) est bon pour S mais ne constitue pas un avantage par rapport à H. En attribuant une charge positive à (2) et un "0" à (4), la figure 2.5 suggère que (2) est un avantage par rapport à (4), mais il est clair que ce n'est pas le cas. L'attribution des valeurs dans la figure 2.5, et donc aussi dans la figure 2.4, doit être erronée.

Il y aura toujours un préjudice au fait de venir au monde, même si le préjudice est faible :

Il y a une différence, ai-je indiqué, entre (a) dire que venir au monde est toujours un préjudice et (b) dire à quel point ce préjudice est important. Jusqu'à présent, je n'ai plaidé que pour la première affirmation. L'ampleur du préjudice de l'existence varie d'une personne à l'autre et, dans le chapitre suivant, je soutiendrai que ce préjudice est très important pour tout le monde. Il convient toutefois de souligner que l'on peut adhérer à la position selon laquelle venir au monde constitue toujours un préjudice, tout en niant que ce préjudice soit important. De même, si l'on pense que le préjudice de l'existence n'est pas important, on ne peut pas en déduire que l'existence est préférable à la non-existence.

Selon cette position, une vie parfaite altérée par une simple piqûre d'épingle ne présente aucun avantage par rapport à la non-existence. Dans un monde où toutes les vies sont comme ça, ce préjudice minime serait facilement compensé par les avantages pour les autres humains déjà existants. Dans notre monde, cependant, aucune vie n'est comme ça.

Contre le fait de ne pas regretter son existence

Certaines personnes sont d'accord avec Alfred Lord Tennyson pour dire qu'il vaut mieux avoir aimé et perdre cet amour que de ne jamais avoir aimé du tout. Ils pourraient penser qu'ils peuvent appliquer un raisonnement similaire à l'existence : il vaut mieux avoir existé et "perdre" (à la fois en souffrant dans la vie et en cessant d'exister) que de ne jamais avoir existé du tout. Mais il y a une énorme différence entre aimer et venir au monde. La personne qui n'aime jamais existe sans aimer, elle est donc privée d'amour. Selon Benatar, c'est une mauvaise chose. Par contre, celui qui ne vient jamais au monde n'est privé de rien, ce qui est "pas mauvais".

La plupart des gens ne regrettent pas leur existence, mais ce fait ne rend pas l'existence meilleure que la non-existence :

[...] si l'on n'était pas venu au monde, personne n'aurait manqué la joie de mener cette vie et l'absence de joie ne serait donc pas mauvaise. Remarquez, en revanche, qu'il est logique de regretter d'être venu au monde si l'on ne jouit pas de sa vie. Dans ce cas, si l'on n'était pas venu au monde, aucun être n'aurait souffert de la vie que l'on mène. C'est un bien, même si personne n'aurait pu profiter de ce bien.

On peut objecter que l'on ne peut pas se tromper sur le fait que l'existence est préférable à la non-existence. On pourrait dire que, de même que l'on ne peut pas se tromper sur le fait que l'on souffre, on ne peut pas se tromper sur le fait que l'on est heureux d'être né. Ainsi, si "Je suis heureux d'être né", une proposition à laquelle de nombreuses personnes souscriraient, est équivalent à "Il vaut mieux que je vienne au monde", alors on ne peut pas se tromper sur le fait que l'existence est préférable à la non-existence. Le problème de ce raisonnement est que ces deux propositions ne sont pas équivalentes. Même si l'on ne peut pas se tromper sur la question de savoir si l'on est actuellement heureux d'être né, il ne s'ensuit pas que l'on ne peut pas se tromper sur la question de savoir s'il est préférable d'être venu au monde. Nous pouvons imaginer que quelqu'un soit heureux, à un moment de sa vie, d'être venu au monde, et qu'ensuite (ou avant), peut-être au milieu d'une agonie extrême, il regrette d'être venu au monde. Il est impossible que, tout bien considéré, il soit à la fois préférable d'être venu au monde et de ne jamais être venu au monde. Mais c'est exactement ce que nous devrions dire dans un tel cas, s'il était vrai que le fait d'être heureux ou malheureux d'être venu au monde équivaut à ce qu'il soit effectivement meilleur ou pire d'être venu au monde. Cela est vrai même dans les cas où les gens ne changent pas d'avis sur la question de savoir s'ils sont heureux d'être nés. La raison pour laquelle si peu de gens changent d'avis s'explique, du moins en partie, par l'image excessivement optimiste que la plupart des gens ont de la qualité de leur propre vie. Dans le chapitre suivant, je montrerai que (à l'exception des vrais pessimistes, qui peuvent avoir une position exacte sur la qualité de leur vie) la vie des gens est bien pire qu'ils ne le pensent.

Chapitre 3 - A quel point venir au monde est-il mauvais ?

Ce chapitre est la continuation du précédent (la conclusion que venir au monde est toujours un préjudice ne nous dit rien sur l'ampleur de ce préjudice). Il fournit également une base, indépendante de l'asymétrie, pour regretter son existence et pour considérer tous les cas réels de venue au monde comme un préjudice :

Si les gens se rendaient compte à quel point leur vie est mauvaise, ils pourraient admettre que le fait de venir au monde a été un préjudice, même s'ils nient que le fait de venir au monde aurait été un préjudice si leur vie n'avait comporté qu'un minimum de mal.

Pourquoi la qualité de la vie n'est pas la différence entre le bon et le mauvais

Il ne suffit pas de soustraire le mauvais du bon pour évaluer à quel point une vie est mauvaise. La façon dont le bon et le mauvais sont distribués joue également un rôle. Trois considérations de distribution sont exposées :

Ordre :

Par exemple, une vie dans laquelle toutes les bonnes choses se sont produites au cours de la première moitié et où les mauvaises choses ont caractérisé la deuxième moitié serait bien pire qu'une vie dans laquelle les bonnes et les mauvaises choses étaient réparties de manière plus équilibrée. Cela est vrai même si la quantité totale de bien et de mal était la même dans chaque vie. De même, une vie caractérisée par une progression constante de la réussite et de la satisfaction est préférable à une vie qui commence par être brillante dans les toutes premières années, mais qui se dégrade progressivement.

Intensité :

Une vie dans laquelle les plaisirs sont extraordinairement intenses mais proportionnellement peu nombreux, peu fréquents et de courte durée pourrait être pire qu'une vie avec la même quantité totale de plaisir, mais où les plaisirs individuels sont moins intenses et plus fréquemment répartis sur toute la vie. Cependant, les plaisirs et autres biens peuvent également être répartis trop largement au sein d'une vie, les rendant ainsi si légers qu'ils se distinguent à peine des états neutres. Une vie ainsi caractérisée pourrait être pire qu'une vie dans laquelle il y aurait quelques "hauts" plus perceptibles.

Durée :

Il est certain que la durée d'une vie interagit de manière dynamique avec la quantité de bien et de mal. Une longue vie avec très peu de bien devrait être caractérisée par des quantités significatives de mal, ne serait-ce que parce que l'absence de bien suffisant sur de si longues périodes créerait de l'ennui - un mal. Néanmoins, nous pouvons imaginer des vies de durée quelque peu inégale qui partagent la même quantité de bon et de mauvais. Une vie pourrait avoir des caractéristiques plus neutres, réparties de manière suffisamment égale sur toute la vie pour ne pas affecter la quantité de bon ou de mauvais. Dans ce cas, il est plausible de juger que la vie la plus longue est meilleure (si la qualité de la vie est suffisante pour qu'elle mérite d'être continuée) ou pire (si elle ne l'est pas).

Il existe une autre considération (non distributive), qui est le seuil de mauvaiseté :

On peut soutenir qu'une fois qu'une vie atteint un certain seuil de mauvaiseté (en considérant à la fois la quantité et la distribution de cette mauvaiseté), aucune quantité de bien ne peut la compenser, parce qu'aucune quantité de bien ne pourrait valoir cette mauvaiseté. C'est précisément cette évaluation que Donald ("Dax") Cowart a faite de sa propre vie - ou du moins de la partie de sa vie qui a suivi une explosion de gaz qui a brûlé les deux tiers de son corps. Il a refusé un traitement extrêmement douloureux qui pouvait lui sauver la vie, mais les médecins ont ignoré sa volonté et l'ont quand même soigné. Sa vie a été sauvée, il a obtenu un succès considérable et il a retrouvé une qualité de vie satisfaisante. Pourtant, il a continué à affirmer que ces biens post-brûlure ne valaient pas le coût des traitements auxquels il était soumis. Quel que soit le bienfait de sa guérison, il ne pouvait compenser, du moins selon lui, le mal des brûlures et des traitements qu'il avait subis.

Pourquoi les auto-évaluations de la qualité de la vie ne sont pas fiables

La plupart des gens nient que leur vie est mauvaise, et ils nient certainement que leur vie est si mauvaise qu'il est préférable de ne jamais exister. Benatar soutient que ce n'est pas la qualité de leur vie qui explique cela, mais plutôt des phénomènes psychologiques humains. Le premier est le principe de Pollyanna, une tendance à l'optimisme :

Cela se manifeste de plusieurs façons. Tout d'abord, il existe une tendance à se souvenir des expériences positives plutôt que négatives. Par exemple, lorsqu'on leur a demandé de se souvenir d'événements survenus au cours de leur vie, les sujets d'un certain nombre d'études ont énuméré un nombre beaucoup plus important d'expériences positives que négatives. Ce rappel sélectif fausse notre jugement sur la façon dont notre vie s'est déroulée jusqu'à présent. Ce ne sont pas seulement les évaluations de notre passé qui sont biaisées, mais aussi nos projections ou nos attentes concernant l'avenir. Nous avons tendance à avoir une position exagérée sur la façon dont les choses iront bien. Le pollyannisme typique des souvenirs et des projections est également caractéristique des jugements subjectifs sur le bien-être actuel et général. De nombreuses études ont montré de manière constante que les auto-évaluations du bien-être sont nettement orientées vers l'extrémité positive du spectre. Par exemple, très peu de personnes se décrivent comme "pas trop heureuses". Au contraire, l'écrasante majorité d'entre eux affirment être "plutôt heureux" ou "très heureux". En effet, la plupart des gens pensent qu'ils sont mieux lotis que la plupart des autres ou que la personne moyenne.

La plupart des facteurs qui améliorent de manière plausible la qualité de vie d'une personne n'influencent pas de manière proportionnelle les auto-évaluations de cette qualité (lorsqu'ils les influencent). Par exemple, bien qu'il existe une corrélation entre l'évaluation que les gens font de leur santé et leur évaluation subjective du bien-être, les évaluations objectives de la santé des gens, à en juger par les symptômes physiques, ne sont pas un aussi bon prédicteur des évaluations subjectives du bien-être des gens. Même parmi ceux dont l'insatisfaction à l'égard de leur santé entraîne une baisse du bien-être qu'ils déclarent, la plupart font état de niveaux de satisfaction se situant à l'extrémité positive du spectre. Dans un pays donné, les pauvres sont presque (mais pas tout à fait) aussi heureux que les riches. L'éducation et la profession ne font pas non plus une grande différence (même si elles en font une certaine). Bien qu'il y ait un certain désaccord sur la mesure dans laquelle chacun des facteurs ci-dessus et d'autres facteurs affectent les évaluations subjectives du bien-être, il est clair que même les types d'événements dont on aurait pu penser qu'ils rendraient les gens " très malheureux " n'ont cet effet que sur une très faible proportion de personnes.

Il existe également une sorte d'adaptation aux mauvais événements, qui rend nos évaluations du bien-être peu fiables et qui explique une partie du pollyannianisme que nous venons de mentionner :

Lorsque le bien-être objectif d'une personne se détériore, il y a, dans un premier temps, une insatisfaction subjective importante. Cependant, il y a ensuite une tendance à s'adapter à la nouvelle situation et à ajuster ses attentes en conséquence. Bien que l'on ne s'entende pas sur l'ampleur de l'adaptation et sur sa variation dans les différents domaines de la vie, on s'accorde à dire qu'il y a adaptation. [...] Comme le sentiment subjectif de bien-être suit les changements récents du niveau de bien-être mieux qu'il ne suit le niveau réel de bien-être d'une personne, il constitue un indicateur peu fiable de ce dernier.

Le troisième facteur est la comparaison avec les autres :

Ce n'est pas tant la qualité de la vie d'une personne que sa qualité par rapport à celle des autres qui détermine son jugement sur la qualité de sa vie. Ainsi, les auto-évaluations sont un meilleur indicateur de la qualité comparative plutôt que réelle de la vie d'une personne. L'un des effets de cette situation est que les caractéristiques négatives de la vie qui sont partagées par tout le monde sont inertes dans les jugements que les gens portent sur leur propre bien-être. Comme ces caractéristiques sont très pertinentes, les négliger conduit à des jugements peu fiables.

Ces trois facteurs se renforcent mutuellement :

De ces trois phénomènes psychologiques, seul le pollyannisme incline sans équivoque les gens à des évaluations plus positives de la façon dont leur vie se déroule. Nous nous adaptons non seulement aux situations négatives mais aussi aux situations positives, et nous nous comparons non seulement à ceux qui sont moins bien lotis mais aussi à ceux qui sont mieux lotis que nous. Cependant, étant donné la force du pollyannisme, l'adaptation et la comparaison fonctionnent toutes deux à partir d'une base optimiste et sous l'influence de biais optimistes. Par exemple, les gens sont plus enclins à se comparer à ceux qui sont moins bien lotis qu'à ceux qui sont mieux lotis. Ainsi, dans les meilleurs cas, l'adaptation et la comparaison renforcent le pollyanisme. Dans le pire des cas, elles l'atténuent mais ne l'annulent pas entièrement. Lorsque nous nous adaptons au bien ou que nous nous comparons à ceux qui sont mieux lotis que nous, nos auto-évaluations sont moins positives qu'elles ne le seraient autrement, mais elles ne les rendent généralement pas négatives.

Leur existence n'est pas surprenante, étant donné leur fonctionnement dans une perspective évolutionniste.

Trois positions sur la qualité de la vie, et pourquoi la vie va mal pour chacune d'entre elles

Benatar présente trois types de théories sur la qualité de vie :

Théories hédonistes

Les états mentaux négatifs comprennent l'inconfort, la douleur, la souffrance, la détresse, la culpabilité, la honte, l'irritation, l'ennui, l'anxiété, la frustration, le stress, la peur, le chagrin, la tristesse et la solitude.

Il y a deux types d'états mentaux positifs :

Certains plaisirs ont les deux composantes : manger un repas savoureux alors que l'on a faim procure à la fois un soulagement de la faim et le plaisir intrinsèque d'une bonne nouritture.

Les états mentaux neutres sont ceux qui ne sont ni positifs, ni négatifs.

Pour Benatar, la vie quotidienne est remplie d'états mentaux négatifs que nous avons tendance à négliger pour les raisons psychologiques mentionnées ci-dessus. :

Il s'agit de la faim, de la soif, de la distension des intestins et de la vessie (lorsque ces organes se remplissent), de la fatigue, du stress, de l'inconfort thermique (c'est-à-dire la sensation d'avoir trop chaud ou trop froid) et des démangeaisons. Pour des milliards de personnes, au moins certains de ces désagréments sont chroniques. Ces personnes ne peuvent pas soulager leur faim, échapper au froid ou éviter le stress. Cependant, même ceux qui parviennent à trouver un certain soulagement ne le font pas immédiatement ou parfaitement, et les subissent donc dans une certaine mesure chaque jour. En fait, si l'on y réfléchit, des périodes importantes de chaque journée sont marquées par l'un ou l'autre de ces états. Par exemple, à moins de manger et de boire régulièrement au point d'empêcher la faim et la soif ou de les contrer lorsqu'elles se manifestent, on a probablement faim et soif pendant quelques heures par jour.

Ces états mentaux caractérisent la vie quotidienne, mais certaines personnes subissent bien pire :

Les maladies chroniques et l'âge avancé aggravent la situation. Les maux, les douleurs, la léthargie et parfois la frustration liée à un handicap deviennent une toile de fond expérientielle pour tout le reste. Ajoutez maintenant les malaises, les douleurs et les souffrances qui sont ressentis soit moins fréquemment, soit seulement par certaines personnes (mais néanmoins très nombreuses). Il s'agit des allergies, des maux de tête, de la frustration, de l'irritation, des rhumes, des douleurs menstruelles, des bouffées de chaleur, des nausées, de l'hypoglycémie, des crises d'épilepsie, de la culpabilité, de la honte, de l'ennui, de la tristesse, de la dépression, de la solitude, de l'insatisfaction de l'image corporelle, des ravages du sida, du cancer et d'autres maladies potentiellement mortelles, ainsi que du chagrin et du deuil.

Bien sûr, les états neutres existent. Les états positifs aussi, à la fois ceux qui sont des soulagements et ceux qui sont intrinsèquement positifs, mais :

[...] il y aurait quelque chose d'absurde à vivre pour des états neutres ou des plaisirs de soulagement, ou à commencer une vie dans le but de créer plus d'états conscients neutres ou de produire plus de plaisirs de soulagement. Les états neutres et les plaisirs de soulagement ne peuvent avoir de valeur que dans la mesure où ils déplacent les états négatifs. L'argument selon lequel il est préférable de ne jamais venir au monde explique pourquoi il est également absurde de commencer une vie pour les plaisirs intrinsèques que cette vie contiendra. La raison en est que même les plaisirs intrinsèques de l'existence ne constituent pas un avantage net par rapport au fait de ne jamais exister. Une fois en vie, il est bon de les avoir, mais ils sont achetés au prix du malheur de la vie - un coût qui est tout à fait considérable.

Théories de la satisfaction des désirs

Ce qui vient d'être dit est pertinent pour les théories de la satisfaction des désirs, puisque nous désirons un état mental positif et l'absence de négatifs. Cependant, il y a une nette différence, car il peut y avoir des états mentaux positifs en l'absence de désirs réalisés, lorsque :

Et il peut y avoir des désirs réalisés en l'absence d'états mentaux positifs, lorsque :

On ne peut pas se tromper sur le fait que l'on éprouve ou non un état mental positif, neutre ou négatif à l'instant même. Pour les désirs, la portée de l'erreur est plus grande : on peut se tromper à l'instant même sur la réalisation de ses désirs (sauf si ces désirs concernent des plaisirs). Compte tenu du pollyannianisme, l'erreur tendra vers le positif dans les auto-évaluations du bien-être.

Benatar note que nos vies contiennent très peu de désirs satisfaits, et beaucoup de désirs insatisfaits. D'abord, il considère les désirs de ce qui nous manque :

Un tel désir doit être présent avant de pouvoir être satisfait et nous endurons donc une période de frustration avant que le désir ne soit comblé. Il est logiquement possible que les désirs soient satisfaits très rapidement après leur apparition, mais étant donné la façon dont le monde est fait, cela ne se produit généralement pas. Au lieu de cela, nous persistons généralement dans un état de désir pendant un certain temps. Ce temps peut varier - de quelques minutes à des décennies. Comme je l'ai déjà dit, on attend généralement au moins quelques heures jusqu'à ce que la faim soit apaisée (à moins que l'on ne suive un régime de "prévention de la faim" ou un régime "d'apaisement de la faim"). On attend encore plus longtemps pour se reposer quand on est fatigué. Les enfants attendent des années avant d'acquérir leur indépendance. Les adolescents et les adultes peuvent attendre des années pour satisfaire leurs désirs de satisfaction personnelle ou de réussite professionnelle. Lorsque les désirs sont réalisés, cette satisfaction est souvent éphémère. Une personne souhaite occuper une fonction publique et est élue, mais n'est pas réélue. Le désir de se marier finit par se réaliser, mais on divorce ensuite. On souhaite des vacances, mais elles se terminent (trop tôt). Souvent, les désirs d'une personne ne sont jamais réalisés. On aspire à être libre, mais on meurt incarcéré ou opprimé. On recherche la sagesse mais on ne l'atteint jamais. On aspire à être beau, mais on est congénitalement et irréversiblement laid. On aspire à une grande richesse et à une grande influence, mais on reste pauvre et impuissant toute sa vie. On désire ne pas croire aux faussetés, mais on s'accroche à ces croyances toute sa vie sans le savoir. Très peu de personnes parviennent à contrôler leur vie et les circonstances comme elles le souhaiteraient.

Deuxièmement, les désirs de ne pas perdre ce que nous avons déjà. Ces désirs sont déjà satisfaits par définition, mais la satisfaction ne dure pas. On peut par exemple désirer ne pas perdre la santé et la jeunesse, mais cette perte arrive trop vite. Comme si cela ne suffisait pas, la satisfaction d'un désir en fait souvent surgir un autre. Le professeur Maslow a noté que :

[...] les satisfactions du besoin ne conduisent qu'à un bonheur temporaire qui tend à son tour à être suivi d'un autre mécontentement et (espérons-le) plus élevé. Il semble que l'espoir humain d'un bonheur éternel ne puisse jamais se réaliser. Certes, le bonheur existe, il est possible de l'obtenir et il est réel. Mais il semble que nous devions accepter son caractère intrinsèquement éphémère, surtout si nous nous concentrons sur ses formes les plus intenses.

Schopenauer a également noté que la vie est un effort et un désir constant (un état d'insatisfaction). Une fois qu'un désir est satisfait, un autre surgit. Il affirme également qu'il n'existe pas de plaisirs intrinsèques, mais seulement des soulagements de la souffrance. Mais il n'est pas nécessaire d'aller aussi loin pour être d'accord avec Benatar sur le fait que "l'insatisfaction imprègne la vie".

Une objection optimiste serait de dire qu'il y a quelque chose de valable dans l'effort lui-même :

Il y a deux façons de donner un sens à cette objection dans une théorie de satisfaction du désir. La première consiste à dire qu'en plus de désirer ce que nous désirons, nous désirons nous efforcer de satisfaire ce désir. Ainsi, l'effort satisfait un désir sur le chemin de la satisfaction d'un autre désir. Par conséquent, nos désirs ne sont pas aussi insatisfaits que je l'ai suggéré. La deuxième façon de donner un sens à l'objection est de dire que, que nous désirions ou non la période de privation ou l'effort pour satisfaire nos (autres) désirs, un tel précurseur de la satisfaction du désir rend la satisfaction finale d'autant plus douce.

Sur la première interprétation, il répond en disant que certains aiment le voyage vers la satisfaction mais pas tout le monde : certains écrivains aiment avoir créé leur poème/livre, mais détestent le processus. Certains jardiniers détestent jardiner mais le font pour pouvoir manger. Les gens désirent guérir d'un cancer, mais personne ne désirerait le processus, les traitements et les effets secondaires.

Sur le second, il est aussi d'accord pour dire que certains désirs sont comme ça (la nourriture a un goût plus doux quand on a faim, gagner la course donne une meilleure sensation si on s'est entraîné), mais encore une fois cela ne peut pas être vrai pour tous les désirs. Et même parmi ceux dont c'est vrai, pour au moins certains d'entre eux, il serait préférable qu'aucun effort ne soit nécessaire :

La liberté peut avoir plus de valeur si elle a été longtemps désirée ou si elle est le résultat d'une lutte prolongée, mais il est toujours préférable de ne pas avoir été privé de liberté pendant tout ce temps. Une longue incarcération suivie de la liberté n'est tout simplement pas meilleure qu'une liberté à vie. En d'autres termes, nous ne devons pas penser à tort que les caractéristiques rédemptrices de la privation et de la lutte sont en fait des avantages par rapport à une satisfaction plus rapide des désirs.

Jusqu'à présent, Benatar n'a fait que montrer combien il y a d'insatisfactions. Il affirme également que les gens surestiment l'importance des satisfactions qui existent :

Selon la théorie de la satisfaction des désirs, notre vie se déroule bien dans la mesure où nos désirs sont satisfaits. Cependant, l'état de voir ses désirs satisfaits peut être atteint de deux manières :

(a) en ayant satisfait tous les désirs que l'on a, ou

(b) en n'ayant que les désirs qui seront satisfaits

Une théorie grossière sur la satisfaction des désirs ne fera pas la distinction entre ces deux façons de satisfaire ses désirs. Le problème d'une telle théorie grossière est qu'une vie terrible pourrait être transformée en une vie splendide en supprimant les désirs ou en modifiant ce que l'on désire. Si, par exemple, on en venait à désirer les différentes caractéristiques de sa triste existence, on passerait ainsi de la vie misérable à la vie magnifique. C'est difficile à avaler. On pourrait avoir l'impression (ou le sentiment) que sa vie s'est ainsi améliorée, mais elle n'aurait sûrement pas été transformée de la sorte (même si elle se serait améliorée de manière plus limitée en se sentant mieux). La question est de savoir s'il est possible de construire une version plus plausible de la position sur la satisfaction du désir - une version qui juge que la vie s'améliore lorsque la satisfaction du désir est atteinte via (a) plutôt que (b). Comme il s'agit d'un problème interne à la théorie de la satisfaction des désirs, je ne poursuivrai pas cette question. Il suffit de dire que si une telle version de la théorie de la satisfaction des désirs ne peut être formulée, alors tant pis pour la théorie de la satisfaction des désirs. Mais que se passerait-il si une telle version pouvait être construite ? Nous devrions alors remarquer qu'en raison des phénomènes psychologiques que j'ai décrits, (b) expliquerait une grande partie de la satisfaction de nos désirs. Nos désirs sont formulés et façonnés en réponse aux limites de notre situation. Par conséquent, nos vies sont bien pires qu'elles ne le seraient si la réalisation de nos désirs était exclusivement (ou même principalement) attribuable à (a).

Théories de la liste objective

Il y a là aussi quelques recoupements avec les théories précédentes. Les états mentaux agréables, l'absence de ceux qui sont douloureux et la réalisation de certains désirs doivent figurer sur la liste des biens objectifs.

Le problème est que, tout comme nos désirs s'adaptent aux circonstances, ce que nous mettrions sur une liste objective sera déterminé par les limites de ce que nous pouvons attendre. Les listes ne sont pas véritablement issues d'une perspective objective (sub specie aeternitatis), mais d'une perspective humaine (sub specie humanitatis) :

Par exemple, comme aucun d'entre nous ne vit jusqu'à 240 ans, les gens ont tendance à ne pas penser que le fait de ne pas atteindre cet âge rend la vie moins bonne. En revanche, la plupart des gens considèrent comme tragique la mort d'une personne à quarante ans (du moins si la qualité de vie de cette personne était relativement bonne). Mais pourquoi une mort à quatre-vingt-dix ans ne serait-elle pas tragique si une mort à quarante ans l'est ? La seule réponse possible est que notre jugement est limité par les circonstances. Nous ne considérons pas ce qui est hors de notre portée comme quelque chose qui serait un bien essentiel. Mais pourquoi faut-il que la bonne vie soit à notre portée ? Peut-être la bonne vie est-elle quelque chose d'impossible à atteindre. Il semble en tout cas qu'une vie dépourvue de tout inconfort, de toute douleur, de toute souffrance, de toute détresse, de tout stress, de toute anxiété, de toute frustration et de tout ennui, qui dure bien plus que quatre-vingt-dix ans et qui est remplie de beaucoup plus de choses bonnes serait meilleure que le genre de vie que les humains les plus chanceux ont. Pourquoi alors ne jugeons-nous pas nos vies à l'aune de cette norme (impossible) ?

Un autre bon candidat pour la liste des objectifs est le sens de la vie. La plupart des gens diraient que la vie n'a pas de sens, si on la regarde d'un point de vue cosmique. D'autres pourraient objecter et dire que la vie a un sens si on la considère du point de vue humain :

Une vie consacrée au service de l'humanité, par exemple, peut avoir un sens, sub specie humanitatis, même si, du point de vue de l'univers, elle n'en a pas. D'autres vies, en revanche, comme celle de l'homme qui consacre sa vie à compter le nombre de brins d'herbe sur différentes pelouses, manqueraient de sens sub specie humanitatis. La vie du compteur d'herbe pourrait cependant avoir un sens, de son propre point de vue subjectif, s'il tirait satisfaction de son projet de vie inhabituel. Le fait que sa vie puisse avoir un sens dans cette perspective conduit de nombreuses personnes à penser que la perspective subjective est insatisfaisante. Mais pourquoi devrions-nous penser que la perspective de l'humanité est plus fiable que celle de l'individu ? Du point de vue de l'univers, la vie du philanthrope comme celle du compteur d'herbe n'ont aucun sens (ce qui ne veut pas dire que la philanthropie n'est pas meilleure que le comptage d'herbe).

Un monde de souffrance

Même si les optimistes rejettent la position pessimiste d'une vie saine ordinaire, ils sont sur des bases faibles lorsque nous considérons toute la souffrance que le monde contient (encore une fois, Benatar se concentre sur les humains, mais c'est encore plus grand si vous considérez la souffrance non-humaine). Il cite le nombre de décès dus aux catastrophes naturelles, à la faim (et ceux qui souffrent de la faim/malnutrition sans mourir), aux maladies, aux accidents... Ensuite, il faut ajouter les meurtres et les souffrances intentionnels, y compris évidemment les guerres, mais aussi la violence des citoyens : viols, meurtres, abus des enfants, etc... Parfois, la souffrance est si grande que les gens mettent fin à leurs jours. De tels chiffres font de la procréation une sorte de pari sur le bien-être d'autrui :

Une vie enchantée est si rare que pour chaque vie enchantée, il y a des millions de vies malheureuses. Certains savent que leur bébé fera partie des malheureux. Personne ne sait, en revanche, que son enfant fera partie des quelques chanceux présumés. De grandes souffrances peuvent attendre toute personne qui vient au monde. Même les personnes les plus privilégiées pourraient donner naissance à un enfant qui souffrira de manière insupportable, sera violé, agressé ou assassiné brutalement. L'optimiste porte sûrement le fardeau de justifier cette roulette russe de la procréation. Étant donné qu'il n'y a aucun avantage réel à ne jamais exister pour ceux qui sont amenés à exister, il est difficile de voir comment le risque important de préjudice grave pourrait être justifié. Si nous comptons non seulement les préjudices exceptionnellement graves que tout le monde peut subir, mais aussi les préjudices tout à fait habituels de la vie humaine ordinaire, nous constatons que les choses sont encore pires pour les joyeux procréateurs. Cela montre qu'ils jouent à la roulette russe avec un pistolet chargé à bloc, dirigé, bien sûr, non pas vers leur propre tête, mais vers celle de leur future progéniture.

Chapitre 4 - Avoir des enfants : La Position Anti-Natal

La Procréation

Pas de devoir de procréer

Certains croient qu'il existe un devoir de procréation, dont l'étendue et la justification sont variées :

(1) Étendue : un devoir de procréer peut être compris comme

(a) un devoir d'avoir des enfants

(b) un devoir d'avoir autant d'enfants que l'on peut

(2) Justification : les prétendus devoirs de procréation pourraient être basés sur

(a) l'interet de ceux qui viennent au monde

(b) d'autres considérations, comme l'interet des autres, l'utilité, le commandement divin, etc...

Les arguments de Benatar sont un coup fatal à la catégorie 2.a. Ils remettent également en cause la catégorie 2.b, mais ne les empêchent pas logiquement, car on pourrait convenir que venir au monde est un préjudice, et pourtant dire que les considérations qui fondent le devoir l'emportent sur le préjudice. Mais si le préjudice est aussi grave que le suggère Benatar, il est très improbable que les considérations l'emportent, encore plus dans les cas de la catégorie 1.b.

Y a-t-il un devoir de ne pas procréer ?

Certains pensent qu'il existe parfois un devoir de ne pas procréer (lorsque la vie de l'enfant sera exceptionnellement mauvaise), mais la question de Benatar porte sur tous les êtres possibles. Il considère le coût de la non-procréation en faisant une distinction entre trois types d'intérêts des potentiels parents :

Évidemment, la non-procréation a pour prix la frustration des intérêts procréatifs. Les intérêts coïtaux peuvent être satisfaits sans procréation par des méthodes contraceptives, ce qui est un petit effort à faire pour éviter le préjudice de venir au monde. Les intérêts parentaux peuvent être satisfaits par l'adoption, tant qu'il y a des enfants non désirés.

Les enfants ne peuvent pas être mis au monde pour leur propre intérêt, même si les procréateurs le pensent et l'utilisent comme raison. Benatar soupçonne que la plupart des personnes qui décident d'avoir un enfant le font pour servir leurs propres intérêts procréatifs et connexes (et parfois les intérêts d'autres personnes, comme la nation ou les familles des procréateurs). Servir ses propres intérêts n'est pas toujours mauvais, mais lorsque cela inflige un préjudice important à autrui, ce n'est généralement pas justifié.

Une façon de défendre le fait d'avoir des enfants même en acceptant que venir au monde est un préjudice serait de nier que le préjudice est important. Et même si l'on est d'accord pour dire que le préjudice est grand, on pourrait mettre en avant le fait que la plupart des gens ne regrettent pas d'être nés :

Pour défendre la permissibilité d'avoir des enfants, on pourrait suggérer qu'il est moralement significatif que la plupart des personnes dont la vie se passe relativement bien ne voient pas leur venue au monde comme un préjudice. Ils ne regrettent pas d'être venus au monde. Mes arguments suggèrent que ces positions peuvent être moins que rationnelles, mais cela, pourrait-on dire, ne leur enlève pas toute signification morale. Étant donné que la plupart des personnes qui mènent une vie (relativement) confortable sont heureuses d'être venues au monde, les parents potentiels de ces personnes sont en droit de supposer que s'ils ont des enfants, ils ressentiront la même chose. Étant donné qu'il n'est pas possible d'obtenir le consentement des personnes avant leur existence pour les faire naître, cette présomption pourrait jouer un rôle clé dans la justification de la procréation. Si nous pouvons présumer que les personnes que nous mettons au monde n'y verront pas d'inconvénient, nous avons le droit, selon l'argument, d'exprimer nos intérêts procréatifs et autres. Lorsque ces intérêts peuvent être satisfaits en ayant soit un enfant avec une vie relativement bonne, soit un enfant avec une vie relativement mauvaise, il serait mauvais que les parents mettent ce dernier à l'existence, même si cet enfant ne regrette pas non plus son existence. En effet, si les futurs parents veulent satisfaire leurs intérêts procréatifs, ils doivent le faire au moindre coût possible. Moins la vie qu'ils donnent naissance est mauvaise, moins le coût est élevé. Certains coûts (comme dans le cas où la progéniture mènerait une vie subminimalement décente) sont si importants qu'ils l'emporteraient toujours sur les intérêts des parents.

Les cas dans lesquels la progéniture s'avère regretter son existence sont excessivement tragiques, mais lorsque les parents ne peuvent raisonnablement pas le prévoir, nous ne pouvons pas dire, selon l'argument, qu'ils ont tort de suivre leurs intérêts importants en ayant des enfants. Les choses seraient bien différentes, selon cet argument, si la majorité ou même une minorité non négligeable de personnes regrettaient d'être venues au monde. Dans de telles circonstances, la justification susmentionnée de la nécessité d'avoir des enfants serait certainement vouée à l'échec. Cependant, étant donné que la plupart des gens ne regrettent pas d'être venus au monde, l'argument fonctionne-t-il ?

L'argument est problèmatique :

Sa forme a été largement critiquée dans d'autres contextes, en raison de son incapacité à exclure les interférences préjudiciables dans la vie des gens (comme l'endoctrinement) qui entraînent une adhésion ultérieure à l'interférence. Le fait d'en venir à endosser les positions que l'on a endoctrinées est une forme de préférence adaptative - où une interférence en vient à être endossée. Cependant, il existe d'autres types de préférence adaptative dont nous nous méfions également. Les biens désirés qui s'avèrent irréalisables peuvent cesser d'être désirés ("raisins aigres"). L'inverse est également vrai. Il n'est pas rare que des personnes se retrouvent dans des circonstances malheureuses (contraintes de se nourrir de citrons) et adaptent leurs préférences en fonction de leur situation ("citrons doux"). Si le fait de venir au monde représente un préjudice aussi important que je l'ai suggéré, et s'il s'agit d'un lourd fardeau psychologique à porter, alors il est tout à fait possible que nous soyons engagés dans une auto-illusion massive sur la façon dont les choses sont merveilleuses pour nous. Si c'est le cas, alors il n'est peut-être pas important, contrairement à ce que prétend l'argument de la procréation que nous venons d'esquisser, que la plupart des gens ne regrettent pas d'être venus au monde. Armés d'un argument fort en faveur de la nocivité de l'esclavage, nous ne prendrions pas l'approbation des esclaves à l'égard de leur esclavage comme une justification de celui-ci, en particulier si nous pouvions mettre en évidence un phénomène psychologique rationnellement discutable expliquant le contentement des esclaves. Si c'est le cas, et si le fait de venir au monde est un préjudice aussi important que je l'ai soutenu, alors nous ne devrions pas prendre le contentement généralisé à l'égard du fait de venir au monde comme une justification pour avoir des enfants.

On pourrait objecter que le devoir de ne pas procréer est une exigence trop forte. Nous avons vu précédemment que de nombreuses personnes seraient d'accord pour dire qu'il existe parfois un devoir de ne pas procréer, notamment lorsque la progéniture souffrirait terriblement :

Dans de tels cas, de nombreuses personnes sont prêtes à admettre que ce serait mal d'avoir un enfant. Mais remarquez que le fardeau pour ceux qui doivent renoncer à produire une progéniture dans de tels cas n'est pas plus léger que le fardeau auquel tout autre reproducteur humain potentiel est confronté en renonçant à avoir des enfants. Si la charge n'est pas trop lourde pour les premiers, elle ne devrait pas l'être pour les seconds. On pense que la différence réside dans la qualité de vie de la progéniture. En d'autres termes, on pense que la non-création est exigée de ceux dont la qualité de vie des enfants serait inacceptablement basse, mais que nous ne pouvons pas exiger une telle chose de ceux dont la progéniture serait "normale". Notez cependant qu'il ne s'agit pas d'un argument sur l'ampleur de la charge de la non-procréation, mais plutôt d'un argument sur le moment où cette charge peut être imposée. Je pourrais accepter que la non-procréation ne soit exigée que lorsque les enfants produits mènent une vie de très mauvaise qualité. C'est parce que j'ai soutenu que toutes les vies entrent dans cette catégorie. Ceux qui pensent que quelques vies n'entrent pas dans cette catégorie ne sont pas (beaucoup) mieux équipés pour défendre l'objection selon laquelle la non-procréation est trop exigeante. En effet, ils doivent certainement être émus par le fait que nous ne pouvons pas dire, lorsque nous délibérons sur l'opportunité de faire naître quelqu'un, si cette vie sera l'une des rares vies qui ne soit pas de très mauvaise qualité. Il semble donc que ceux qui acceptent que venir au monde est un grand préjudice et qu'il y a un devoir de ne pas procréer dans les cas où la progéniture subirait un grand préjudice en étant amenée à l'existence doivent accepter qu'un devoir de ne pas procréer ne soit pas trop exigeant.

Si je me trompe sur ce point, cependant, et qu'il n'est pas immoral d'avoir des enfants, mes arguments des chapitres 2 et 3 montrent, à tout le moins, qu'il est préférable de ne pas avoir d'enfants. Même si notre progéniture potentielle ne regrette pas d'être venue au monde, elle ne regrettera certainement pas de ne pas être venue au monde. Puisqu'il n'est en réalité pas du tout dans leur intérêt de venir à l'existence, la ligne de conduite moralement souhaitable est de s'assurer qu'ils ne le fassent pas.

La liberté de procréer

Comprendre le prétendu droit

Benatar comprend le droit à la liberté de procréation comme un droit négatif de choisir de produire ou non des enfants. Il est clair que ce droit, dans sa forme morale, est incompatible avec le devoir de ne pas procréer. Cependant, il pourrait y avoir un droit légal de le faire, car les droits légaux donnent aux gens la liberté de faire des choses qui peuvent être, ou sont considérées, comme mauvaises.

Fonder le droit sur l'autonomie

Le droit légal peut être fondé sur la base de l'autonomie, mais un droit légal d'avoir des enfants n'est pas un droit absolu, c'est une très forte présomption en faveur de la procréation. Les présomptions peuvent être battues en brèche, et comme l'a dit John Robertson : "ceux qui veulent limiter le choix de la procréation ont la charge de montrer que les actions reproductives en question créeraient un préjudice si important qu'elles pourraient être limitées de manière justifiée". Si nous acceptons que venir au monde est toujours un préjudice, alors la présomption est toujours battue, et un droit qui est toujours battu n'est pas vraiment un droit.

Fonder le droit sur la futilité

Le refus du droit devrait être lié à l'application de la loi par l'État, ce qui serait peu pratique et trop coûteux. L'État devrait être très intrusif et être capable de faire la distinction entre les personnes qui procréent sciemment ou par négligence et celles qui le font accidentellement. Dans les deux cas, l'État devra exiger l'avortement. Tout cela aura pour effet de rendre la grossesse clandestine et dangereuse. Ces coûts moraux sont trop lourds à payer.

Fonder le droit sur le désaccord

Nous pouvons imaginer une société dans laquelle la non-procréation est assurée sans les invasions de la vie privée et les intrusions corporelles mentionnées ci-dessus. Par exemple, l'État pourrait libérer une substance contraceptive dans l'air ou dans l'eau potable. Dans une telle société, on pourrait toujours défendre le droit de procréer à partir du fait que les positions de Benatar sont très contestées :

La position selon laquelle venir au monde est toujours un préjudice est très contestée. Même si cette position est néanmoins correcte, le simple fait qu'elle bénéficie de si peu de soutien montre que les gens ordinaires peuvent être en désaccord à ce sujet. Et lorsqu'un tel désaccord existe sur la question de savoir si une action est (injustifiablement) préjudiciable, l'État devrait accorder aux gens le droit de choisir de s'engager ou non dans de telles actions. Cet argument suggère une qualification du fameux principe de préjudice. Selon ce principe, dans sa forme non qualifiée, les États peuvent interdire des activités uniquement lorsqu'elles causent un préjudice aux parties non consentantes. La qualification stipule que les cas dans lesquels il existe un désaccord entre des personnes ordinaires sur le caractère préjudiciable d'une action n'entrent pas dans le champ d'application du principe.

Benatar répond par une analogie avec l'esclavage :

Prenons le cas de l'esclavage dans une société esclavagiste - ou du moins dans ce type de société esclavagiste où l'esclavage est défendu par la position selon laquelle les esclaves sont naturellement aptes à être esclaves. Dans une telle société, nous trouvons un grand nombre de personnes qui pensent que l'esclavage ne porte pas préjudice aux esclaves. En fait, ils pourraient même croire que l'esclavage est bénéfique pour les esclaves. Ils pourraient écouter les arguments de quelques abolitionnistes selon lesquels l'esclavage est préjudiciable aux esclaves, et répondre que leurs affirmations sont très contestées et donc exemptées du principe de préjudice. Bien que cette conclusion soit facilement acceptée par les défenseurs de l'esclavage, il est clair que ni les abolitionnistes de cette société, ni nous qui avons l'avantage d'une certaine distance temporelle ou géographique par rapport à l'esclavage, ne seraient impressionnés par cet argument. Ne devrait-il pas y avoir un droit légal de posséder des esclaves même lorsque le préjudice de l'esclavage est contesté ? Cela montre que le simple fait que le caractère nuisible d'une activité soit contesté ne signifie pas que le principe du préjudice est inapplicable ou que les gens devraient avoir le droit légal de s'y adonner.

Fonder le droit sur le désaccord raisonnable

Nous pouvons établir une autre distinction entre un désaccord raisonnable et un désaccord déraisonnable :

Pour qu'un désaccord soit raisonnable, les raisons en faveur d'une position sur une question ne doivent pas être suffisamment fortes pour que l'acceptation de l'une des positions en conflit soit réellement déraisonnable (plutôt que simplement perçue comme telle). Le problème de cette norme est de faire la différence entre les désaccords qui sont réellement déraisonnables et ceux qui sont seulement perçus comme tels.

Benatar pense qu'il ne peut y avoir de désaccords raisonnables sur le préjudice de l'esclavage. Mais qu'en est-il d'un cas plus controversé comme la consommation de viande ? Il conclut :

Il existe donc, pour l'instant, de solides arguments en faveur de la reconnaissance d'un droit légal à la liberté de procréation. Je peux envisager des circonstances dans lesquelles cet argument s'effondrerait, mais en raison des forts biais en faveur du rejet de la position selon laquelle le fait de venir au monde constitue un préjudice, l'argument serait complètement ruiné avant qu'un État respectueux des droits retire le droit légal de se reproduire. Si les choses étaient aussi claires, la perte d'un tel droit ne serait pas regrettable. En effet, la perte d'un tel droit dans les sociétés libérales cessera d'être regrettable bien avant qu'il ne soit perdu - si jamais il est perdu dans une société qui reste libérale. En attendant, nous pouvons défendre un droit légal à produire des enfants tout en pensant qu'il existe un devoir moral de ne pas faire naître de nouvelles personnes.

Reproduction assistée et artificielle

Benatar résume les interactions entre l'éthique reproductive et l'éthique sexuelle :

Éthique reproductive

Éthique sexuelle

Il épouse évidemment la position anti-reproductive dans les deux cas. Cette position blâme non seulement les personnes qui se reproduisent, mais aussi celles qui les aident : il est mal d'aider quelqu'un à infliger le préjudice d'amener quelqu'un à l'existence. Cependant, même si c'est moralement mal, il existe toujours un droit légal de le faire, dérivé du droit légal négatif de liberté de reproduction dont disposent les patients. Mais cela n'implique pas, pour les patients, un droit juridique positif à l'assistance médicale à la procréation.

Traiter les personnes futures comme de simples moyens

Certains cas de reproduction sont vus comme immoraux en raison de l'exigence kantienne de ne pas traiter les personnes comme de simples moyens. Par exemple, avoir un deuxième enfant pour sauver le premier (greffe de moelle osseuse, dans le cas de la leucémie), ou le clonage. Mais Benatar fait remarquer que cela s'applique à tous les cas ordinaires de reproduction :

Les enfants ne naissent pas dans un acte de grand altruisme, destiné à apporter le bénéfice de la vie à un pauvre non-être suspendu dans le vide métaphysique et privé ainsi des joies de la vie.

On pourrait suggérer que le clonage est pire, car c'est un acte de narcissisme (vouloir une réplique exacte de soi-même). Mais les parents qui choisissent l'adoption pourraient dire la même chose des parents qui se reproduisent :

Ils pourraient arguer qu'il est narcissique pour un couple de vouloir créer un enfant à leur image combinée, à partir d'un mélange de leurs gènes. Le fait est que tant le clonage que les méthodes de reproduction habituelles peuvent être narcissiques, mais il n'est pas non plus vrai que chaque type de reproduction doit nécessairement être caractérisé de cette manière.

Le clonage n'est donc ni plus ni moins problématique que la reproduction ordinaire à cet égard. Mais avoir un enfant dans le but de sauver un enfant est moins problématique que les cas ordinaires de reproduction. Dans la reproduction ordinaire, les gens produisent des enfants (a) pour satisfaire leurs intérêts procréatifs ou parentaux ; (b) pour fournir des frères et sœurs aux enfants existants ; (c) pour propager l'espèce, la nation, la tribu ou la famille ; ou (d) sans aucune raison. Ce sont toutes des raisons clairement plus faibles pour produire un enfant que l'objectif de sauver la vie d'une personne existante.

Chapitre 5 - Avortement : La Position "Pro-Mort"

La plupart des gens pensent qu'une raison doit être fournie pour avoir ou se procurer un avortement. Certains pro-choix pensent que c'est un acte regrettable même s'il est justifié. La charge doit être inversée si :

(1) le fait de venir au monde constitue un préjudice, et (2) quelqu'un n'est pas encore venu au monde au stade particulier de la gestation où l'avortement doit être pratiqué. Si ces deux conditions sont remplies, alors la charge de la preuve est déplacée vers ceux qui n'avorteraient pas (au stade de gestation spécifié). C'est le refus d'avorter qui doit être défendu. Plus le préjudice de l'existence est grand, plus il sera difficile de défendre ce refus. Si une troisième condition est remplie - (3) le fait de venir au monde (dans les cas ordinaires) est un préjudice aussi important que je l'ai suggéré - alors le fait de ne pas avorter (à l'âge gestationnel spécifié) ne peut jamais, ou presque jamais, être justifié.

Benatar fait la distinction entre venir au monde dans un sens biologique et dans un sens moralement pertinent. Le premier signifie le début d'un nouvel organisme, et le second le début des intérêts moralement pertinents d'une entité. Nous ne sommes pas venus au monde au sens biologique du terme avant la conception, car il faut à la fois un spermatozoïde et un ovule, et deux ne peuvent pas faire un. Dans le cas de jumeaux, l'existence peut être postérieure à la conception. Mais cette question peut être contournée si l'on s'intéresse au sens moralement pertinent et si l'on vient au monde au sens moralement pertinent après même la dernière estimation raisonnable du moment où l'on vient au monde au sens biologique, ce qui est la position de Benatar. Pour comprendre quand nous venons au monde au sens moral du terme, il examine différents types d'intérêts.

Quatre types d'intérêts

1. Les intérêts fonctionnels : Le premier type d'intérêt est celui que l'on dit parfois d'un artefact, comme une voiture ou un ordinateur. Parce que les artefacts ont des fonctions, certaines choses peuvent favoriser et d'autres entraver ces fonctions. Les choses qui facilitent le fonctionnement d'un artefact sont dites bonnes pour l'artefact, ou dans son intérêt, et les choses qui compromettent son fonctionnement sont dites mauvaises pour lui, ou contre ses intérêts. Ainsi, la rouille est mauvaise pour une voiture et avoir des roues est bon.

2. Les intérêts biotiques : Les plantes ont un autre type d'intérêt. Comme les artefacts, elles fonctionnent, et leur fonctionnement peut être favorisé ou altéré. Cependant, contrairement aux artefacts, les plantes sont vivantes. Leurs fonctions et les intérêts associés sont biotiques.

3. Les intérêt conscient : Les animaux conscients fonctionnent aussi, et comme pour les plantes, leurs fonctions sont biologiques. Mais il y a quelque chose que cela fait d'être un être conscient. Les intérêts associés, je les appellerai intérêts conscients. Mais ce terme nécessite une clarification. Par intérêt conscient, je n'entends pas un intérêt que l'on possède consciemment, c'est-à-dire que l'on est explicitement conscient d'avoir, mais plutôt un intérêt qui ne peut être possédé que par ceux qui sont conscients. On peut, par exemple, avoir un intérêt à éviter la douleur, sans être conscient d'avoir un tel intérêt.

4. Les intérêts réfléchis : Certains animaux - typiquement la plupart des humains - ne sont pas seulement conscients, mais sont également caractérisés par diverses capacités cognitives d'ordre supérieur, notamment la conscience de soi, le langage, la symbolisation et le raisonnement abstrait. Ces animaux ne sont pas seulement conscients, ils sont aussi "réfléchis". Ils ont des intérêts dans le sens réfléchi qu'ils peuvent être explicitement intéressés par leurs intérêts.

Ces intérêts sont cumulatifs : les machines ont le type 1, les plantes ont les types 1 et 2, les animaux 1, 2 et 3 et les humains ont les quatre. Avoir des intérêts est nécessaire pour avoir un statut moral, mais pas suffisant. La question est de savoir quels intérêts sont pertinents.

Quels intérêts sont moralement considérables ?

Pour Benatar, il est difficile de présenter un argument convaincant en faveur d'un type d'intérêt particulier. De tels arguments s'appuient fortement sur des intuitions. Cela a un impact sur sa stratégie :

[...] ma stratégie d'argumentation consistera à souligner les implications de considérer les intérêts biotiques comme moralement pertinents et à montrer que la plupart, sinon la totalité, des pro-vie ne les embrassent pas.

Comme je le montrerai plus tard, les fœtus ne deviennent conscients qu'assez tard dans la période gestationnelle. Ainsi, si les intérêts conscients sont les intérêts moralement pertinents les plus fondamentaux, les fœtus n'acquerront des intérêts moralement pertinents que très tard. Une façon de fonder un argument pro-vie serait de prétendre que les intérêts biotiques sont également moralement pertinents. Cependant, si les intérêts biotiques comptent moralement, un principe d'égalité exigerait que des intérêts biotiques égaux comptent également. Ainsi, les intérêts biotiques humains ne peuvent être les seuls à être pertinents. Les intérêts des plantes, des bactéries, des virus, etc. doivent compter autant que les intérêts biotiques des embryons humains et des fœtus préconscients. Mais il s'agit là d'implications que très peu (voire aucun) pro-vie n'accepteront. La cohérence exige donc qu'ils ne fondent pas leur position sur une revendication de la pertinence morale des intérêts biotiques. (Bien sûr, cela ne signifie pas qu'il n'y a pas d'autre moyen de soutenir une position pro-vie, et j'examinerai d'autres arguments plus tard.)

La cohérence exige donc qu'ils ne fondent pas leur opinion sur une revendication de la pertinence morale des intérêts biotiques.

Ceux qui considèrent que les intérêts biotiques sont moralement pertinents ne nient pas que les intérêts conscients le sont aussi. Ils s'opposent seulement à ce que le seuil de pertinence soit fixé au-dessus des intérêts biotiques. Il y a un autre défi à ceux qui prennent les intérêts conscients pour être les intérêts moralement pertinents minimum. Ce défi vient de ceux qui voudraient fixer le seuil au-dessus des intérêts conscients - au niveau des intérêts réfléchis. Les implications de cette position sont également peu plausibles. Si seuls les intérêts réfléchis comptent moralement, alors il n'y a rien de (directement) répréhensible à torturer des êtres conscients mais non conscients d'eux-mêmes - la plupart des animaux et tous les nouveau-nés humains. Nous pouvons rejeter la position selon laquelle seuls les intérêts réfléchis comptent.

Quand la conscience commence-t-elle ?

Selon Benatar, la littérature scientifique sur la douleur fœtale indique la conclusion suivante :

[...] il existe des preuves non négligeables pour penser qu'à partir d'environ vingt-huit à trente semaines d'âge gestationnel, les fœtus sont conscients, du moins dans un sens minimal. Compte tenu des preuves et de la nature graduelle du processus de développement, il est très peu probable que la première manifestation de la conscience soit entièrement formée. Il est beaucoup plus probable que le niveau de conscience évolue. En effet, chez l'homme, la conscience se développe également progressivement vers la conscience de soi. Ainsi, les intérêts conscients ne surgissent pas soudainement. Au contraire, ils émergent progressivement, même si ce n'est pas à un rythme constant.

Intérêts à continuer à exister

Si nous venons au monde à ce moment-là, et qu'il vaut mieux ne jamais avoir existé, alors il est préférable d'être avorté avant ce moment-là. Mais il ne s'ensuit pas que l'avortement après ce moment soit moralement mauvais. On pourrait penser que c'est mal d'infliger de la douleur à une entité consciente, mais pas de la tuer sans douleur. Michael Tooley le pense, et a un argument :

  1. L'énoncé 'A a le droit de continuer à exister en tant que sujet d'expériences et d'autres états mentaux' est grossièrement synonyme de l'énoncé 'A est un sujet d'expériences et d'autres états mentaux, A est capable de désirer continuer à exister en tant que sujet d'expériences et d'autres états mentaux, et si A désire effectivement continuer à exister en tant que telle entité, alors les autres ont une obligation prima facie de ne pas l'empêcher de le faire.'
  2. Avoir un désir, c'est vouloir qu'une certaine proposition soit vraie.
  3. Pour vouloir qu'une proposition soit vraie, il faut comprendre cette proposition.
  4. On ne peut comprendre une proposition donnée que si l'on possède les concepts qui y sont impliqués.
  5. Par conséquent, les désirs que l'on peut avoir sont limités par les concepts que l'on possède.
  6. Pas plus qu'un fœtus (à n'importe quel stade de son développement), un jeune nourrisson ne peut avoir de concepts de lui-même en tant que sujet d'expériences et d'autres états mentaux.
  7. Par conséquent, ni un fœtus ni un nourrisson ne peuvent avoir le droit de continuer à exister.

Benatar se penche sur l'argument et le rejette, mais pense qu'il présente un fond de vérité :

Dire, comme je l'ai suggéré, qu'une entité minimalement consciente peut avoir un intérêt à continuer à exister ne signifie pas que cet intérêt soit aussi fort que celui d'une entité consciente d'elle-même. Lorsque l'intérêt à continuer à vivre est dérivé d'intérêts assez rudimentaires pour d'autres expériences agréables, il est beaucoup plus faible qu'il ne le devient lorsque la conscience de soi, les projets et les buts émergent. L'être est alors beaucoup plus investi dans sa propre vie et risque de perdre beaucoup plus en mourant ou en étant tué. Le fait que les intérêts les plus précoces soient faibles ne signifie pas pour autant qu'ils ne sont pas du tout des intérêts.

Il adopte une position gradualiste des intérêts moraux, ce qui est logique car les propriétés qui sont pertinentes pour les intérêts (comme la conscience et la conscience de soi) apparaissent progressivement. Deux arguments célèbres menacent cette position gradualiste :

La Règle d'Or

Richard Hare a employé la règle d'or contre l'avortement. Dans sa forme positive, la règle stipule : "nous devrions faire aux autres ce que nous voudrions qu'ils nous fassent". Hare étend cette règle à "nous devrions faire aux autres ce que nous sommes heureux qu'on nous ait fait". Puisque nous sommes heureux que personne n'ait interrompu la grossesse qui a donné lieu à notre naissance, nous devrions faire de même pour la naissance d'une personne ayant une vie semblable à la nôtre.

Pour Benatar, il n'est pas vrai que tout le monde est heureux de ne pas avoir été avorté. Hare répond qu'ils doivent souhaiter que s'ils avaient été heureux de naître, alors personne n'aurait dû les avorter. Mais le problème est qu'il prend la préférence pour être né comme la norme morale :

S'il avait pris comme norme la préférence de ne pas être né, on pourrait alors dire que ceux qui sont heureux d'être nés doivent souhaiter que, s'ils n'avaient pas été heureux, quelqu'un aurait dû les avorter. Il est évident que si l'une ou l'autre de ces personnes avait une préférence opposée à celle qu'elle a, l'argument de la règle d'or produirait la conclusion opposée à celle qu'il produit lorsque sa préférence est telle qu'elle est en réalité. La réponse du professeur Hare au cas de ceux qui ne sont pas heureux d'être nés ne convient donc pas.

Quelle préférence devrait prévaloir ? Certains soutiennent que la plupart des fœtus deviennent des personnes avec la préférence d'être né, donc cette préférence est plus fiable statistiquement. Benatar donne deux raisons pour lesquelles elle ne devrait pas prévaloir.

.

La première est le principe de prudence. Si l'on se trompe dans la préférence supposée d'être né, la personne peut ne pas avoir réellement cette préférence, et souffrira toute sa vie. Si l'on se trompe dans la préférence opposée et que l'on fait avorter le fœtus, personne ne souffrira. On peut répondre que le fœtus en souffre mais 1) Hare ne pense pas qu'ils souffrent lorsqu'ils sont avortés et 2) :

Tout l'intérêt de l'argument de la potentialité est de montrer que l'avortement peut être mauvais même si le fœtus n'a pas, en tant que fœtus, les propriétés qui justifient de ne pas le tuer.

La seconde est que venir au monde est toujours un préjudice grave. Donc la préférence d'être né n'est pas informée, et il est donc étrange d'utiliser la règle d'or avec elle.

Il a aussi été noté que la première prémisse (l'extension de la règle d'or) est fausse :

Il y a une différence entre être heureux que quelqu'un ait fait quelque chose pour soi et penser que cette personne était obligée de faire ce qu'elle a fait. Tout ce que nous souhaitons voir faire (ou dont nous sommes heureux qu'il ait été fait) n'est pas forcément quelque chose que nous pensons devoir faire (ou qui aurait dû être fait). Nous pouvons souhaiter être traités d'une manière dont nous reconnaissons que les autres ne sont pas tenus de nous traiter (ou nous les traiter).

Un "futur comme le nôtre"

L'argument de Don Marquis part de l'hypothèse que tuer des adultes est mal :

Selon lui, la meilleure explication de pourquoi c'est mal est que la perte de la vie d'une personne la prive de la valeur de son avenir. Lorsqu'une personne est tuée, elle est privée de tous les plaisirs futurs et de la possibilité de poursuivre ses objectifs et projets présents et futurs. Mais la plupart des fœtus ont un avenir de valeur comme le nôtre. Ainsi, conclut le professeur Marquis, il doit également être mauvais de tuer ces fœtus.

Il note les vertus de l'argument :

  1. Il évite le spécisme : s'il existe des animaux non humains qui ont aussi un avenir précieux, alors il serait mal de les tuer aussi. Et il ne serait pas nécessairement mauvais de tuer les humains, y compris les fœtus, dont la qualité de vie future promet d'être si faible qu'ils n'ont pas d'avenir précieux.
  2. Il évite les problèmes découlant du critère de la personnification. Selon cette position, tuer des enfants et des nourrissons est évidemment mauvais, tout comme tuer des adultes.
  3. Il ne dit pas que l'avortement est mauvais parce qu'il implique le meurtre de personnes potentielles. De tels arguments sont incapables d'expliquer pourquoi les personnes potentielles ont droit au même traitement que les personnes réelles. L'argument du futur semblable au nôtre est basé sur une propriété réelle du fœtus - qu'il a un futur semblable au nôtre - plutôt que sur une propriété potentielle.

Il examine ensuite deux autres points de vue, qu'il rejette. Selon la thèse du désir, tuer est mauvais parce que cela contrecarre le désir important qu'ont les gens de continuer à vivre. Mais cela ne peut pas expliquer pourquoi il est mal de tuer des dépressifs ou des personnes dans le coma. Selon la thèse de la discontinuité, il est mal de nous tuer parce que cela implique l'interruption des expériences, activités et projets précieux de la vie. Les fœtus n'ont rien de tout cela, donc l'avortement avant le développement de la conscience ne serait pas mauvais selon la thèse de la discontinuité.

Don Marquis dit que ce n'est pas la simple discontinuité des expériences qui est mauvaise. Si les expériences futures sont des expériences de souffrance absolue, la discontinuité peut en fait être préférable. Ainsi, la thèse de la discontinuité ne peut fonctionner que si elle fait référence à la valeur des expériences qui peuvent être interrompues. De plus, dit-il, la nature des expériences immédiatement passées d'une personne n'est pas pertinente. Il n'y a pas de différence, dit-il, si une personne a subi une douleur intolérable, si elle a été dans le coma ou si elle a joui d'une vie de valeur. Il en conclut que seule la valeur de l'avenir de la personne importe. Si c'est le cas, dit-il, alors la thèse de la discontinuité doit fusionner avec celle du futur comme le nôtre.

Mais pour Benatar ça ne fonctionne pas :

Une thèse de discontinuité peut dire que, bien que la valeur du futur soit nécessaire pour expliquer le tort de tuer (ceux qui ont un futur de valeur), elle n'est pas suffisante. Une telle thèse peut soutenir que seul un être ayant des intérêts moralement pertinents peut avoir un intérêt moralement pertinent dans son avenir de valeur. Ainsi, c'est la discontinuité de la vie d'un être qui a déjà des intérêts moralement pertinents qui est mauvaise. En d'autres termes, pour que tuer soit mal, il faut que l'avenir ait de la valeur, mais il faut aussi que ce soit l'avenir d'un être qui compte déjà moralement.

Maintenant, Don Marquis pourrait répondre que toutes les entités ayant un avenir comme le nôtre ont, en vertu de l'existence d'un tel avenir, un intérêt moralement considérable - l'intérêt de jouir de cet avenir.

Mais pourquoi pense-t-il qu'un fœtus humain a maintenant un tel intérêt ? Sa réponse semble être que nous pouvons d'ici là identifier de manière unique l'entité qui jouira plus tard de ce futur. Nous ne pouvons pas choisir de manière non arbitraire un sujet privé de l'avenir avant ce stade, c'est pourquoi l'argument n'exclut pas la contraception.

Benatar souligne une implication étrange de ce point de vue : si le matériel génétique était entièrement dans le spermatozoïde et que l'ovule ne faisait que le nourrir, alors la contraception serait exclue :

Cependant, il est difficile de voir comment cela peut faire une différence pour savoir si la contraception est moralement assimilable à un meurtre. En d'autres termes, comment la simple individuation génétique peut-elle faire toute la différence entre le fait d'empêcher ou non un avenir comme le nôtre ? Si c'est vraiment un avenir comme le nôtre qui compte, alors pourquoi devrait-il s'agir de l'avenir d'organismes génétiquement complets ? Ma proposition alternative, qui évite l'implication étrange de ceci, est que ce qui compte est le futur précieux de ces entités avec des intérêts moralement pertinents. Mettre fin à la vie précieuse d'un être ayant des intérêts moralement pertinents dans cette vie est (à première vue) une erreur.

Un autre avantage de la thèse de Benatar par rapport à la thèse du futur comme le nôtre est que si la valeur du futur est tout ce qui compte, alors tuer un fœtus serait pire que de tuer une personne de 30 ans, puisque le fœtus a un futur plus long :

La plus grande privation a un sens lorsque nous comparons la mort d'une personne de trente ans à celle d'un nonagénaire, où la plupart des gens considèrent que la première est pire. En revanche, elle a beaucoup moins de sens lorsqu'on compare la mort d'un fœtus et celle d'une personne de trente ans, la plupart d'entre nous estimant que la seconde est bien pire. La meilleure explication à cela est que le fœtus n'a pas encore acquis l'intérêt pour sa propre existence que possède la personne de trente ans. Le cas du trentenaire et du nonagénaire peut s'expliquer de deux manières. Il se peut que les deux aient le même intérêt à continuer à vivre, mais que le nonagénaire ait moins de vie devant lui. Ou bien, dans certains cas seulement, il se peut que l'intérêt du nonagénaire à vivre ait déjà commencé à décliner, peut-être parce que la vie devient plus difficile avec l'âge et la décrépitude.

Conclusion

Benatar adopte ce qu'il appelle la "position pro-mort" :

En combinant la position selon laquelle les fœtus n'ont pas de statut moral dans les premiers stades de la grossesse avec la position selon laquelle il y a toujours un préjudice à venir au monde, on renverse les présomptions qui prévalent en matière d'avortement. Au lieu d'une présomption en faveur de la poursuite de la grossesse, nous devrions adopter une présomption, au moins dans les premiers stades de la grossesse, contre le fait de mener un fœtus à terme.

Une telle position pourrait intéresser les "pro-vie" au sens légal :

L'une de ses caractéristiques précieuses est qu'elle offre un défi unique aux pro-vie qui rejettent le droit légal à l'avortement. Alors qu'une position pro-choix légale n'oblige pas un pro-vie à avorter - elle lui laisse le choix - une position pro-vie légale empêche un pro-choix d'avorter. Ceux qui pensent que la loi devrait incarner la position pro-vie pourraient se demander ce qu'ils diraient d'un lobby qui, contrairement à mes arguments du chapitre 4 mais en accord avec l'engagement des pro-vie à restreindre la liberté de procréation, recommanderait que la loi devienne pro-mort. Une politique légale pro-mort exigerait que même les pro-vie aient recours à l'avortement. Face à cette idée, les pro-vie légale pourraient avoir un intérêt nouveau pour la valeur du choix.

Chapitre 6 - La Population et l'Extinction

Les questions centrales de ces deux sujets sont :

  1. "Combien de personnes devrait-il y avoir ?" Benatar défendra, sans surprise, la réponse "zéro".
  2. "La perspective de l'extinction de l'humanité est-elle quelque chose à regretter ?" :

    Je répondrai que, bien que le processus d'extinction puisse être regrettable et que la perspective de l'extinction de l'humanité puisse, à certains égards, être mauvaise pour nous, il vaudrait mieux, tout bien considéré, qu'il n'y ait plus d'êtres humains (ni d'ailleurs plus de vie consciente).

  3. "Compte tenu de l'extinction, doit-elle se produire plus tôt ou plus tard ?" :

    Je soutiendrai ici que, même si une extinction très imminente serait pire pour nous, une extinction précoce serait néanmoins meilleure qu'une extinction tardive. Cela s'explique par le fait qu'une extinction précoce nous garantit contre le préjudice important que représentent les vies futures qui, autrement, seraient créées. Je montrerai cependant que, selon certaines positions, la création d'un nombre limité de nouvelles personnes peut être justifiée. Si c'est le cas, alors, bien que l'extinction ne doive pas se produire aussi tôt qu'elle le pourrait, elle devrait quand même se produire plus tôt que plus tard.

Surpopulation

Il y a une distinction entre deux questions : combien de personnes devraient exister à un moment/période donné, et combien de personnes devraient exister au total (la question cumulative). Puisque pour Benatar, venir au monde est un préjudice grave, une population cumulée d'une seule personne est déjà une surpopulation.

La population cumulée est de plus de 106 milliards de personnes, selon une statistique de 2004.

Même s'il aurait été préférable qu'aucune des 106 milliards d'êtres humains ne vienne au monde, on ne peut plus empêcher ces personnes (dont vous et moi faisons partie). C'est pourquoi beaucoup pourraient souhaiter se concentrer sur la question de savoir combien de personnes supplémentaires il pourrait y avoir - au sens cumulatif, plutôt qu'à un moment précis dans le futur. La réponse idéale est ici encore "zéro", bien que cet idéal soit violé à chaque seconde.

Résoudre les problèmes de la théorie morale sur la population

Les problèmes de population du professeur Parfit

Dans Reasons and Persons Derek Parfit discute du problème de la non-identité. Comment expliquer le jugement commun selon lequel commencer une vie de mauvaise qualité est mauvais ? On ne peut pas l'expliquer avec ce que Parfit appelle des positions morales "personne-affectante". De telles positions impliquent qu'une action est mauvaise si les gens sont affectés pour le pire.

Une telle position, dit-il, ne peut pas résoudre le problème de la non-identité, car dans les cas de non-identité, ceux qui sont amenés à l'existence ne peuvent pas être moins bien lotis qu'ils ne l'auraient été autrement, car ils n'auraient pas existé autrement.

Parfit part à la chasse à la théorie X, qui doit résoudre le problème de la non-identité mais sans générer d'autres problèmes. Il considère les positions impersonnelles de la moralité :

Alors que les positions "personne-affectante" soutiennent qu'une chose ne peut être mauvaise que si elle est pire pour quelqu'un, les positions impersonnelles ne se préoccupent pas des effets sur des personnes particulières. Ils examinent plutôt les résultats de manière plus impersonnelle. Si la vie des gens est meilleure dans un cas que dans l'autre, alors le meilleur résultat doit être préféré, même si personne n'est mieux loti dans ce scénario.

Elle résout le problème de la non-identité, mais génère d'autres problèmes. Benatar distingue deux types de positions impersonnelles :

Selon la position impersonnelle totale, une petite population avec une qualité de vie élevée est pire qu'une plus grande population avec une qualité de vie plus faible, tant qu'il y a suffisamment de personnes dans la grande population pour compenser la qualité de vie plus faible. Cela s'explique par le fait que seul le total compte, et non la moyenne.

Figure 6.1

Parfit suggère que la conclusion est répugnante. La position impersonnelle moyenne évite cette conclusion, mais elle ne peut pas être la Théorie X, puisqu'elle vient avec ses propres problèmes :

Pour montrer pourquoi c'est le cas, Derek Parfit nous demande d'imaginer deux autres mondes. Dans le premier monde, tout le monde a une qualité de vie très élevée. Dans le second monde, en plus de toutes ces personnes ayant la même qualité de vie élevée, il y a d'autres personnes qui, bien que moins bien loties, ont néanmoins une vie qui vaut la peine d'être vécue. Derek Parfit appelle ce genre de cas "simple addition". Plus précisément, une simple addition se produit "lorsque, dans l'une des deux issues, il existe des personnes supplémentaires (1) qui ont une vie qui vaut la peine d'être vécue, (2) qui n'affectent personne d'autre, et (3) dont l'existence n'implique pas d'injustice sociale".

Le deuxième monde est rendu pire par l'ajout de personnes, Parfit considère cela comme invraisemblable.

Pourquoi l'anti-natalisme est compatible avec la théorie X

Dans le chapitre 2, Benatar soutient que le problème de la non-identité peut être résolu. L'une des façons de le faire est de dire que même si venir au monde n'est pas pire, cela peut quand même être mauvais pour la personne qui vient au monde. Puisque l'alternative n'est pas mauvaise, nous pouvons dire que la personne est ainsi lésée. Cela ne fonctionne pas avec la position personne-affectante, comprise comme la position selon laquelle quelque chose "est mauvais si les gens sont affectés pour le pire". Mais cette première formulation est plus restrictive que nécessaire. Plus loin dans son livre, Derek Parfit fait la distinction entre la version étroite et la version large de la position personne-affectante :

La position personne-affectante étroite : un résultat est pire pour les personnes (au sens étroit) si la survenue de X plutôt que de Y serait soit pire, soit mauvaise, pour les X-personnes.

Selon lui, cette formulation ne peut pas résoudre le problème de la non-identité car il pense qu'il n'est pas mauvais que les gens viennent au monde tant qu'ils ont une vie digne d'être vécue. Cependant, nous avons vu que l'expression "une vie qui vaut la peine d'être vécue" est ambiguë. Elle peut signifier soit "une vie qui vaut la peine d'être commencée", soit "une vie qui vaut la peine d'être continuée". Si l'on considère l'argument selon lequel venir au monde est toujours un préjudice, il s'ensuit qu'aucune vie ne vaut la peine d'être commencée (même si certaines vies valent la peine d'être continuées). Ainsi, venir au monde est toujours mauvais pour une personne, même si l'on pense que ce n'est pas pire pour cette personne.

Benatar explique ensuite comment ses arguments anti-natalistes affectent les positions impersonnelles. Premièrement, la position impersonnelle totale :

D'autres pourraient suggérer que si la position impersonnelle totale tient compte de mon principe, elle peut éviter la conclusion répugnante. Mon argument peut être considéré comme expliquant que la conclusion répugnante découle de l'hypothèse erronée selon laquelle il est bon d'avoir des vies supplémentaires qui valent la peine d'être continuées. La position impersonnelle totale peut être révisée pour éviter à la fois cette erreur et la conclusion qui en résulte. L'une des façons d'y parvenir est de restreindre la portée de la position impersonnelle totale de telle sorte qu'elle ne s'applique qu'aux personnes qui existent ou qui existeront de toute façon, et non aux questions relatives au nombre de personnes qui devraient exister. En d'autres termes, on peut considérer qu'il s'agit d'un principe visant à maximiser le bonheur de l'existant, mais non à affecter le nombre d'existants. Cette révision, cependant, a un coût évident. La position révisée cesse de fournir des indications sur le nombre de personnes qui devraient exister.

Puis, la position impersonnelle moyenne

[...] la position impersonnelle moyenne affirme que nous ne devrions pas ajouter de vies supplémentaires si elles diminuent le bien-être moyen de tous les humains qui ont déjà vécu. L'implication selon laquelle des vies supplémentaires " valant la peine d'être vécues " - lire " valant la peine de continuer " - ne devraient pas être ajoutées est considérée comme invraisemblable. Mes arguments montrent pourtant qu'elle ne l'est pas. Si aucune vie ne vaut la peine d'être commencée, ce n'est pas un défaut dans une théorie que d'empêcher l'ajout de nouvelles vies qui ne valent pas la peine d'être commencées, même si ces vies vaudraient la peine d'être continuées. Il aurait en effet été préférable qu'aucune personne ne vienne s'ajouter à la vie édénique d'Adam et Eve.

Mais selon cette position, nous serions obligés de commencer de nouvelles vies si cela pouvait augmenter la qualité de vie moyenne de toutes les personnes qui ont déjà vécu. Ceci est en contradiction avec les conclusions de Benatar. Les deux positions impersonnelles commettent l'erreur de n'accorder de valeur aux personnes que dans la mesure où elles augmentent le bonheur (total ou moyen). Ils supposent à tort que la valeur du bonheur est primaire et que la valeur des personnes en est dérivée. Or, les personnes n'ont pas de valeur parce qu'elles apportent un supplément de bonheur. Au contraire, le bonheur supplémentaire est précieux parce qu'il est bon pour les personnes.

Pour éviter cette erreur, les positions impersonnelles peuvent être modifiées pour ne pas rechercher le plus grand bonheur total ou moyen mais plutôt le plus petit malheur total ou moyen :

Cette façon de réviser les positions impersonnelles présente deux avantages. Premièrement, elle préserve la capacité de la position impersonnelle à fournir des indications sur le nombre de personnes qu'il devrait y avoir. Deuxièmement, elle génère la conclusion que j'ai défendue, à savoir que la taille idéale de la population est "zéro". La façon de minimiser le malheur est de ne pas avoir de personnes (ou d'autres êtres conscients). Le malheur total le plus bas et le malheur moyen le plus bas sont tous deux égaux au malheur zéro, et le malheur zéro, du moins dans le monde réel, est atteint en ayant zéro personnes.

Ceux qui veulent ressusciter la conclusion répugnante et les problèmes de simple addition en imaginant un monde dans lequel aucune vie ne contient de mal, mais diffère seulement par la quantité de bien qu'elle contient, sont confrontés à un certain nombre de problèmes :

Premier problème :

[...] il n'est pas certain que nous puissions même donner un sens à un tel monde, étant donné l'interaction entre le bon et le mauvais dans une vie. Comme je l'ai montré au chapitre 3, une vie qui ne contiendrait que très peu de bien ne pourrait que contenir du mal - à savoir l'ennui de longues périodes d'absence de bien. La seule façon de l'éviter serait de raccourcir la durée de la vie, mais le raccourcissement de la vie est un autre mal.

Deuxième problème à propos de la conclusion répugnante :

Ce qui est répugnant dans la conclusion répugnante, c'est la suggestion (impliquée par la position impersonnelle totale) qu'un monde rempli de vies qui valent à peine la peine d'être vécues est meilleur qu'un monde contenant beaucoup moins de vies de bien meilleure qualité. Mais comment des vies pourraient-elles être à peine dignes d'être vécues (lire "dignes de continuer") si elles ne contenaient aucun mal - et si l'absence de plus de bien n'était pas un mal ? En d'autres termes, comment une vie ne contenant que du bon et pas de mauvais peut-elle à peine mériter d'être continuée ? Si les vies dans Z sont en fait tout à fait dignes d'être vécues, alors préférer Z à A n'est plus répugnant (même si l'on pense que c'est encore une erreur).

Dernier problème, à propos de la simple addition :

Il est vrai que si l'on savait que les vies futures possibles ne contiennent aucun mal, même la version minimisant le malheur de la position impersonnelle moyenne ne pourrait pas exclure la simple addition. Cependant, la question est de savoir si cela poserait un problème. Une grande partie de la raison pour laquelle la simple addition est considérée comme un problème est que le rejet de la simple addition par la position impersonnelle moyenne va à l'encontre d'une hypothèse implicite selon laquelle il est bon d'avoir des vies supplémentaires qui valent la peine d'être vécues. Selon la position impersonnelle moyenne, il peut être mauvais d'avoir des vies supplémentaires qui valent la peine d'être vécues (si ces vies supplémentaires réduisent le bien-être moyen). Lorsque les vies contiennent une part de mauvais, j'ai montré que mon argument indique que la position impersonnelle moyenne a raison de rejeter la simple addition. Bien que mon argument ne montre pas que la position de la impersonnelle moyenne a raison de rejeter la simple addition dans les cas où les vies supplémentaires ne contiennent aucun mal, il permet néanmoins de surmonter le problème. Rappelez-vous que, selon mon argument du chapitre 2, une vie (hypothétique) qui contient un peu de bon mais pas de mauvais n'est pas pire que de ne jamais exister - mais elle n'est pas non plus meilleure que de ne jamais exister. Selon mon argument, il n'y a aucun moyen de choisir entre (a) ne jamais exister et (b) venir à l'existence avec une vie qui ne contient aucun mal. Cela rend le jugement de la position de la impersonnelle moyenne sur la simple addition moins invraisemblable. S'il est préférable d'avoir des vies supplémentaires qui valent la peine d'être vécues et que la position impersonnelle moyenne suggère que c'est pire, alors il y a un sérieux problème. Cependant, si selon un critère, il n'y a aucun moyen de choisir en faveur ou contre la simple addition, et que la position impersonnelle moyenne suggère que nous choisissions contre, alors il n'y a pas nécessairement de contradiction. La position de la impersonnelle moyenne peut être considérée comme une condition supplémentaire (impersonnelle) à un jugement selon lequel la simple addition n'est ni meilleure ni pire pour ceux qui sont ajoutés.

En conclusion, la position de Benatar selon laquelle venir au monde est toujours un préjudice fait donc une grande partie de ce que la Théorie X doit faire. Elle résout le problème de la non-identité, évite la conclusion répugnante et le problème de la simple addition, et explique l'une des asymétries de Derek Parfit :

S'il serait mal d'avoir un enfant dont la vie ne vaut pas la peine d'être poursuivie, il n'y a aucune raison morale d'avoir un enfant dont la vie vaut la peine d'être poursuivie.

Mais Benatar ne dit pas que sa position est la Théorie X. Sa position est un argument sur la question de savoir s'il devrait y avoir plus de gens, alors que la Théorie X est une théorie générale sur la moralité qui peut aussi traiter de manière satisfaisante les questions de population. Le fait que son argument, contrairement à tant d'autres, semble compatible avec la Théorie X à tous ces égards, fournit des raisons supplémentaires de prendre son argument au sérieux.

Contractualisme

Derek Parfit pense que le contractualisme ne peut pas donner d'indications sur le nombre de personnes qu'il devrait y avoir :

Dans la vision contractuelle idéale, les principes de justice sont choisis dans ce que John Rawls appelle la "position initiale" - une position hypothétique dans laquelle l'impartialité est assurée en refusant aux parties en position initiale la connaissance de faits particuliers les concernant. Le problème, cependant, dit Derek Parfit, est que les parties dans la position originelle doivent savoir qu'elles existent. Mais supposer, au moment de choisir des principes qui affectent des personnes futures, que nous existerons certainement, dit-il, "c'est comme supposer, au moment de choisir un principe qui désavantagerait les femmes, que nous serons certainement des hommes". C'est un problème car il est essentiel pour le contractualisme idéal "que nous ne sachions pas si nous ferons les frais d'un principe choisi".

Le problème avec cette objection est que l'analogie ne tient pas, puisque les personnes inexistantes ne peuvent pas "faire les frais" d'un principe :

Un principe qui fait que certaines personnes possibles ne deviennent jamais réelles n'impose aucun coût à ces personnes. Personne n'est désavantagé en ne venant pas au monde. Rivka Weinberg exprime le même point de vue d'une manière différente. Elle affirme que "l'existence n'est pas un avantage distribuable" et que, par conséquent, ni "les gens en général ni les individus en particulier ne seront désavantagés par l'hypothèse d'une perspective existante".

Derek Parfit pense qu'on ne peut pas modifier la position initiale du contractualisme pour que les parties ne sachent pas si elles existeront, mais Benatar pense que si. Dans ce cas, les parties maximiseraient la position du plus mal loti (ce que nous appelons le "maximin"), et la population idéale sera à nouveau égale à zéro.

Pour Michael Baykes, le maximin ne produit cette conclusion que si ce sont des biens utilitaires qui sont distribués. Si ce sont des biens primaires (biens nécessaires pour assurer tous les autres biens), alors on arrive à la conclusion inverse :

[...] les plus mal lotis sont les inexistants, car ils ne reçoivent aucun bien primaire. La classe immédiatement après est constituée de ceux qui peuvent ou non exister, et s'ils existent, ils recevront certains biens primaires. Par conséquent, il faut faire exister le plus grand nombre de personnes possible.

Cependant, comme nous l'avons vu dans le chapitre 2, les biens absents ne sont pas mauvais s'il n'y a personne qui est privé par leur absence, donc les non-existants ne sont pas les plus mal lotis.

Certains rejettent le maximin au motif qu'il produit la conclusion zéro et pensent que les parties devraient raisonner de manière probabiliste. Qu'elles le puissent ou non ne fait aucune différence :

Cela est dû au fait qu'il est toujours très mauvais de venir au monde. La probabilité d'un mauvais résultat est donc de cent pour cent. La gravité de l'issue - très, très, très mauvaise ou simplement très mauvaise - est une question de probabilité. Cependant, cela n'a pas d'importance dans le contexte actuel, étant donné que l'on sait déjà que toute issue dans laquelle on existe ne présente aucun avantage pour soi par rapport à une issue dans laquelle on n'existe pas. Ainsi, même ceux qui pensent que (a) les probabilités devraient être prises en compte, (b) que les intérêts des parents et des enfants devraient être équilibrés, et (c) que la procréation devrait être autorisée "seulement quand elle ne serait pas irrationnelle" seront amenés à la même conclusion que ceux qui choisissent le maximin. Si mon argument est juste, il est toujours irrationnel de préférer venir au monde. Les parties impartiales rationnelles choisiraient de ne pas exister et le résultat est une population nulle.

Extinction progressive

Lorsque la diminution de la population entraîne une baisse de la qualité de vie

Dans certaines circonstances, une diminution de la population entraîne une baisse de la qualité de vie. Cela peut notamment se produire lorsqu'une population diminue trop rapidement à la suite d'une baisse des taux de natalité. Une plus grande partie de la population est maintenant improductive en raison de l'âge, de sorte que les jeunes ne peuvent pas produire suffisamment pour maintenir la qualité de vie. Une autre façon est lorsque la taille absolue de la population tombe en dessous d'un certain seuil.

Donc, selon la position de Benatar, la seule façon dont la création de nouvelles personnes est acceptable est si nous visons l'élimination progressive de l'humanité :

À moins d'une fin soudaine de l'humanité, les dernières personnes, qu'elles existent tôt ou tard, souffriront probablement beaucoup. Il est sensé de faire en sorte que le moins de personnes subissent ce sort. Cela peut être fait en réduisant régulièrement le nombre de personnes.

Benatar imagine deux scénarios (la largeur représente la taille de la population, l'axe négatif est la qualité de vie) :

Figure 6.2

A est une population qui existerait si la procréation continuait, mais à environ soixante-quinze pour cent du taux de remplacement. B est la population qui existerait si nous arrêtions la procréation avec effet immédiat.

L'absence de la nouvelle génération rend la vie en B plus difficile pour beaucoup de gens. Benatar doit répondre aux questions suivantes :

  1. Pouvons-nous créer de nouvelles vies afin d'améliorer la qualité des vies existantes ?
  2. Si oui, dans quelles conditions pouvons-nous le faire ?

Réduire la population à zéro

Rappel sur ce qu'est la position personne-affectante étroite :

Un résultat est pire pour les personnes (au sens étroit) si la survenue de X plutôt que de Y serait soit pire, soit mauvaise, pour les X-personnes.

Cette position peut montrer pourquoi le monde B de la figure 6.2 est pire pour les 1-personnes et pourquoi le monde A est pire pour les 2-personnes. Mais elle ne peut pas fournir d'indications sur les deux questions ci-dessus. Nous devons utiliser la position person-affectante large :

Un résultat est pire pour les gens (au sens large) si la survenue de X est moins bonne pour les X-personnes que la survenue de Y ne l'est pour les Y-personnes.

Cette position a aussi des versions moyennes et totales. Benatar les exprime négativement :

Position personne-affectante large, négative, totale

Un résultat est pire pour les personnes si le préjudice net total subi par les X-personnes du fait de la survenue de X est supérieur au préjudice net total subi par les Y-personnes du fait de la survenue de Y.

Position personne-affectante large, négative, moyenne

Un résultat X est pire pour les personnes si le préjudice net moyen par personne pour les X-personnes par la survenue de X est supérieur au préjudice net moyen par personne pour les Y-personnes par la survenue de Y.

Selon les deux positions, B est pire que A, et il serait donc justifié de donner naissance à des enfants afin de réduire les dommages causés par les personnes existantes. Benatar considère que la position moyenne est la moins plausible :

L'ajout de vies supplémentaires n'augmente pas le préjudice moyen par personne si la qualité de vie des nouvelles personnes est identique ou supérieure à celle des personnes qui les ont précédées. Ainsi, douze milliards de vies de mauvaise qualité ne sont pas pires, en moyenne, que six milliards de vies de même qualité. Mais il doit certainement être pire d'infliger le même préjudice à deux fois plus de personnes.

La position totale permet d'éviter ce problème, et peut donc apporter une réponse aux questions : nous pouvons créer de nouvelles vies lorsque nous minimisons ainsi le préjudice total subi par les personnes. Il existe des objections possibles :

Il se pourrait qu'après tout, ces positions soient impersonnelles, et ne soient person-affectante qu'en apparence :

Une position impersonnelle ne devient pas une position person-affectante simplement parce qu'elle est énoncée d'une manière qui semble person-affectante. Les principes impersonnels ne se préoccupent pas de l'impact d'une action sur des personnes particulières, mais plutôt de l'impact d'une action sur les personnes en général. Il n'est donc pas surprenant que de telles positions ne soient pas en mesure de rendre compte de manière adéquate des préoccupations relatives au préjudice causé à des personnes particulières du fait de leur existence.

Peut-être existe-t-il une version de la position person-affectante large qui évite ce problème. Mais maintenant, Benatar va se concentrer sur les positions qui prennent en compte les objections possibles, par exemple, la position droits/déontologie. Attribuer des droits à des personnes potentielles est problématique, nous pouvons donc penser à cela en termes de devoirs de ne pas faire naître de nouvelles personnes.

Si c'est un devoir absolu, peu importe le tort que cela cause aux personnes déjà existantes. Si ce n'est pas le cas, il peut être contrecarré si le fait d'amener de nouvelles personnes entraîne une réduction significative des dommages (plus qu'équivalent). Plus le droit non-absolu est fort, plus la réduction des dommages causés aux autres doit être importante.

Benatar résume les positions et leurs implications :

1) position person-affectante : Ne peut pas répondre à la question.

2) Position négative moyenne : Incompatible avec les arguments anti-natalistes.

3) Position négative totale : Nous pouvons créer de nouvelles personnes lorsque le montant total des préjudices causés par cette opération est équivalent ou inférieur aux préjudices que subiraient les personnes existantes si les nouvelles personnes n'étaient pas créées.

4) Position droits/déontologie : La création de nouvelles personnes ne peut être justifiée par la simple réduction du préjudice total.

4a) Version plus stricte : La création de nouvelles personnes ne peut jamais être justifiée par une quelconque réduction du préjudice total, quelle que soit l'ampleur de cette réduction.

4b) Version moins stricte : La création de nouvelles personnes peut être justifiée par une réduction substantielle (mais pas une petite réduction) du préjudice total.

Que les conditions de la position totale ou de la position moins stricte des droits ou des devoirs soient remplies ou non, les procréateurs ordinaires ou potentiels ne peuvent actuellement y faire appel pour justifier leur reproduction. En effet, les problèmes de qualité de vie liés à la population qui se posent actuellement sont ceux qui résultent de l'augmentation et non de la diminution de la population. Et même si la croissance démographique commençait à s'atténuer ou à se transformer en un déclin progressif de la population, cela ne serait toujours pas suffisant. Ce n'est que dans des situations de réduction très rapide de la population ou de retour à des niveaux que les humains ont dépassés il y a des millénaires que l'on peut se poser la question de la création de personnes pour réduire les dommages. Nous n'en sommes pas du tout là.

Extinction

L'extinction de l'humanité se produira certainement, certains l'espèrent le plus tard possible. Le fait qu'elle se produira certainement rend l'argument de Benatar optimiste (les choses seront un jour comme elles devraient être : sans humains). L'extinction suscite toutefois des inquiétudes :

  1. Lorsque l'extinction est provoquée par le meurtre, on peut penser que c'est mauvais parce que cela écourte la vie. Ce n'est pas un problème pour Benatar, puisqu'il ne suggère pas l'extinction par le meurtre, mais plutôt par la non procréation.
  2. Quelle que soit la manière dont l'extinction est provoquée, on pourrait penser qu'elle est mauvaise pour ceux qui la précèdent. La dernière génération porterait le fardeau du "no future" : ses espoirs et ses désirs d'avenir seront contrariés. Elle subira également le poids de l'effondrement de la société. Mais comme cela se produira de toute façon, il vaut mieux que ce soit plus tôt que plus tard, car si c'est plus tard, il y a le coût de la souffrance des nouvelles générations intermédiaires.
  3. L'état d'extinction pourrait être considéré comme mauvais en soi. Selon cette position, un monde dans lequel il n'y a pas d'êtres humains (ou d'autres êtres conscients) est regrettable en soi, indépendamment de la signification de cet état de fait pour les êtres antérieurs. Cette préoccupation, bien que largement répandue, ne peut avoir de sens si l'on accepte (comme la plupart des gens) l'asymétrie de la douleur et du plaisir. Selon cette asymétrie, un monde sans humains est meilleur pour les humains qui auraient autrement existé. On pourrait objecter qu'un tel monde serait pire à d'autres égards, par exemple, il manquerait d'agents moraux et de délibérateurs rationnels, et il serait un peu moins diversifié. Benatar répond :

    Premièrement, qu'y a-t-il de si spécial dans un monde qui contient des agents moraux et des délibérateurs rationnels ? Le fait que les humains accordent de la valeur à un monde qui contient des êtres comme eux en dit plus sur leur sens inapproprié de l'importance personnelle que sur le monde. (Le monde est-il intrinsèquement meilleur du fait de la présence d'animaux à six pattes ? Et si oui, pourquoi ? Serait-il encore meilleur s'il y avait aussi des animaux à sept pattes) ? Bien que les humains puissent accorder de la valeur à l'agence morale et à la délibération rationnelle, il est loin d'être clair que ces caractéristiques de notre monde ont une valeur sub specie aeternitatis. Ainsi, s'il n'y avait plus d'humains, il n'y aurait également personne pour regretter cet état de fait. On ne voit pas non plus pourquoi un monde moins diversifié est pire si personne n'est privé de cette diversité. Enfin, même si nous pensons que des facteurs tels que l'agencement moral, la rationalité et la diversité améliorent le monde, il est hautement improbable que leur valeur l'emporte sur l'immense quantité de souffrance qui accompagne la vie humaine.

Chapitre 7 - Conclusion

Contrer l'objection de la contre-intuitivité

Il n'est évidemment pas raisonnable de rejeter une position simplement parce qu'elle est contre-intuitive (par exemple, l'abolition de l'esclavage était très contre-intuitive dans le passé). La conclusion de Benatar découle de positions qui sont acceptées par la plupart des gens et qui sont tout à fait raisonnables, comme l'asymétrie décrite au chapitre 2. On pourrait la prendre comme une reductio ad absurdum de l'asymétrie et la rejeter, mais cela pose plusieurs problèmes.

Tout d'abord, nous devons considérer ce que son rejet nous engage à :

Bien sûr, il y a plusieurs façons de rejeter l'asymétrie, mais la façon la moins invraisemblable serait de nier que les plaisirs absents ne sont " pas mauvais " et d'affirmer au contraire qu'ils sont " mauvais ". Cela nous amènerait à dire que nous avons une raison morale (forte ?) et donc un devoir présumé, basé sur les intérêts de futures personnes heureuses possibles, de créer ces personnes. Cela nous amènerait également à dire que nous pouvons créer un enfant dans l'intérêt de cet enfant et que nous devrions regretter, dans l'intérêt de ces personnes heureuses que nous aurions pu créer mais que nous n'avons pas créées, de ne pas les avoir créées. Enfin, cela nous engagerait non seulement à regretter que des parties de la terre et tout le reste de l'univers soient inhabitées, mais aussi à le regretter par souci de ceux qui auraient pu autrement venir au monde en ces lieux.

C'est encore pire si nous tentons d'abandonner l'asymétrie d'une autre manière - en prétendant que les douleurs absentes dans le scénario B sont simplement " pas mauvaises ". Cela nous amènerait à dire que nous n'avons aucune raison morale, fondée sur les intérêts d'une éventuelle personne souffrante future, d'éviter de créer cette personne. Nous ne pourrions plus regretter, sur la base des intérêts d'un enfant souffrant, d'avoir créé cet enfant. Nous ne pourrions pas non plus regretter, sur la base de l'intérêt de personnes misérables souffrant dans une partie du monde, qu'elles aient jamais été créées.

Un deuxième problème est que les intentions dominantes dans ces domaines ne sont pas dignes de confiance :

Premièrement, pourquoi devrions-nous penser qu'il est acceptable de causer un grand préjudice à quelqu'un - ce que les arguments du chapitre 3 montrent que nous faisons chaque fois que nous créons un enfant - alors que nous pourrions éviter de le faire sans priver cette personne de quoi que ce soit ? En d'autres termes, quelle peut être la fiabilité d'une intuition si, même en l'absence d'intérêts d'autrui, elle permet d'infliger un grand préjudice qui aurait pu être évité sans aucun coût pour la personne lésée ? Une telle intuition ne serait pas digne de respect dans tout autre contexte. Pourquoi devrait-on penser qu'elle n'a une telle force que dans les contextes de procréation ?

Deuxièmement, nous avons d'excellentes raisons de penser que les intuitions pro-natales sont le produit de forces psychologiques (au moins non-rationnelles, mais peut-être irrationnelles). Comme je l'ai montré au chapitre 3, il existe des caractéristiques omniprésentes et puissantes de la psychologie humaine qui conduisent les gens à penser que leur vie est meilleure qu'elle ne l'est réellement. Leurs jugements ne sont donc pas fiables. En outre, il existe une bonne explication évolutive à la croyance profondément ancrée selon laquelle les gens ne causent pas de préjudice grave à leurs enfants en les mettant au monde. Ceux qui n'ont pas cette croyance sont moins susceptibles de se reproduire. Ceux qui ont des croyances favorisant la reproduction sont plus susceptibles de se reproduire et de transmettre les attributs qui les inclinent à de telles croyances.

Il y a un troisième problème pour ceux qui veulent considérer les arguments de Benatar comme un reductio ad absurdum de l'asymétrie :

Leur argument pourrait également être utilisé par une espèce condamnée à des vies bien pires que les nôtres. Bien que nous puissions considérer leur vie comme un grand préjudice, s'ils étaient soumis aux types de forces psychologiques optimistes caractéristiques des humains, ils soutiendraient eux aussi qu'il est contre-intuitif de prétendre qu'ils ont subi un préjudice en venant au monde. Ce qui ne serait pas contre-intuitif de notre point de vue serait contre-intuitif du leur. Pourtant, nous pouvons constater, avec l'avantage d'un certain recul par rapport à leurs vies, qu'il faut faire peu de cas de leurs intuitions à ce sujet. On peut dire la même chose de l'intuition humaine commune selon laquelle la création (de la plupart) des humains ne constitue pas un préjudice.

Répondre à l'optimiste

Les optimistes et les pessimistes peuvent être en désaccord sur les faits (ce qui est ou sera le cas) ou sur l'évaluation des faits (ce qui est ou sera le cas est bon/mauvais). La position selon laquelle venir au monde est toujours un grave préjudice est pessimiste à la fois dans un sens factuel (il y a beaucoup plus de choses négatives dans les vies humaines que les gens ne le réalisent) et évaluatif (les bénéfices de la vie ne la rendent pas digne d'être commencée). Les personnes qui adoptent cette position peuvent être optimistes dans un sens : la vie sentiente finira par se terminer, ce qui est une bonne chose (selon la position). Elles peuvent néanmoins être pessimistes sur la date de cette fin, si elles pensent que ça n'arrivera que dans un avenir très lointain.

Une position optimiste ne peut pas être juste simplement parce qu'elle est joyeuse (et une position pessimiste simplement parce qu'elle est sinistre). Ce qui compte, ce sont les preuves. Benatar dénonce le "ton macho et suffisant" de ceux qui disent aux pessimistes de ne pas tout voir en noir et d'arreter de se plaindre :

Cette position est défectueuse pour la même raison que les positions machistes sur d'autres types de souffrance sont défectueuses. C'est une indifférence ou un déni inapproprié de la souffrance, qu'il s'agisse de la sienne ou de celle des autres. L'injonction à "voir le bon côté des choses" devrait être accueillie avec une bonne dose de scepticisme et de cynisme.

La mort et le suicide

La position de Benatar selon laquelle venir au monde est toujours un préjudice n'implique pas que la mort soit préférable au fait de continuer à exister. Les cas de vie future et de vie présente sont différents :

Les personnes existantes peuvent avoir des intérêts à continuer d'exister, et donc les préjudices qui font que la vie ne vaut pas la peine d'être continuée doivent être suffisamment graves pour contrecarrer ces intérêts. En revanche, les personnes non-existantes n'ont aucun intérêt à venir au monde. Par conséquent, l'évitement de tout préjudice, même minime - ou, selon ma position, de tout préjudice - sera décisif.

Si la mort est un préjudice, alors c'est l'une des raisons pour lesquelles venir au monde est un préjudice (tout le monde devra mourir à un moment donné). L'idée que la mort puisse être un préjudice a fait l'objet d'objections :

Épicure a fait valoir que la mort n'est pas mauvaise pour celui qui meurt, car tant que l'on existe, on n'est pas mort, et une fois que la mort arrive, on n'existe plus. Ainsi, le fait que je sois mort (par opposition à ma mort) n'est pas quelque chose que je peux expérimenter. Ce n'est pas non plus une condition dans laquelle je peux être. Il s'agit plutôt d'une condition dans laquelle je ne suis pas. En conséquence, ma mort n'est pas quelque chose qui peut être mauvais pour moi. Lucrèce, un disciple d'Épicure et donc également épicurien, a avancé un autre argument contre l'idée que la mort soit un préjudice. Selon lui, puisque nous ne regrettons pas la période de non-existence qui a précédé notre venue au monde, nous ne devrions pas regretter la non-existence qui suit notre vie.

Une telle position est incompatible avec les affirmations suivantes :

Benatar compare la façon dont cette position Épicurienne est contre-intuitive, avec la façon dont sa position antinataliste est contre-intuitive :

Premièrement, la conclusion d'Épicure est plus radicalement contre-intuitive que ma conclusion. Je soupçonne qu'un plus grand nombre de personnes pensent, et ressentent plus fortement, que le meurtre nuit à la victime que celles qui pensent que venir au monde n'est pas un préjudice. En effet, il y a beaucoup de gens qui pensent que venir au monde est souvent un préjudice et il y a encore plus de gens qui pensent que ce n'est jamais un avantage même s'ils pensent que ce n'est pas aussi un préjudice. Mais il y a très peu de gens qui croient vraiment que le meurtre ne cause pas de préjudice à la victime. Même lorsque la vie de la victime était de mauvaise qualité, on pense généralement que tuer cette personne sans son consentement (alors que celui-ci aurait pu être obtenu), c'est lui faire du tort. Deuxièmement, le principe de précaution s'applique de manière asymétrique aux deux positions. Si l'épicurien a tort, alors le fait d'agir sur la base de l'argument épicurien (en tuant d'autres personnes ou en se tuant soi-même) causerait un préjudice grave aux personnes tuées. En revanche, si ma position est erronée, le fait d'agir selon ma position (en ne procréant pas) ne causerait aucun préjudice à ceux qui n'ont pas été mis au monde.

Mais puisqu'il n'est pas raisonnable de rejeter une position simplement parce qu'elle est contre-intuitive, Benatar répond. D'abord à Lucrèce, sur la différence entre la non-existence pré-vitale et la non-existence post-mortem :

Bien que chacun d'entre nous pourrait vivre plus longtemps, aucun d'entre nous n'aurait pu venir au monde beaucoup plus tôt. Cet argument devient très puissant lorsque nous reconnaissons le type d'existence que nous apprécions. Il ne s'agit pas d'une "essence métaphysique", mais plutôt d'une conception plus épaisse et plus riche du soi, qui incarne les souvenirs, les croyances, les engagements, les désirs, les aspirations, etc. de chacun. L'identité d'une personne, dans ce sens plus épais, est construite à partir de son histoire particulière. Mais même si notre essence métaphysique avait pu venir au monde plus tôt, l'histoire de cet être aurait été si différente qu'il ne serait pas la même personne que nous. Pourtant, les choses sont très différentes à l'autre bout de la vie. Les histoires personnelles - les biographies - peuvent être prolongées en ne mourant pas plus tôt. Une fois que l'on est, on peut continuer à l'être plus longtemps. Mais venir au monde plus tôt aurait été l'arrivée à l'existence d'une personne différente, avec laquelle on n'aurait peut-être pas grand-chose en commun.

Il répond ensuite à Épicure en utilisant la thèse de la privation : la mort est mauvaise pour la personne qui meurt parce qu'elle la prive de vie future et de caractéristiques positives. Donc selon cette thèse, la mort est parfois mauvaise, mais pas toujours (cela dépend de l'avenir de la vie).

Une objection est que les partisans de la thèse de la privation ne peuvent pas dire quand le préjudice de la mort se produit. Si c'est après la mort, personne ne peut subir de préjudice, si c'est avant, cela implique une causalité à rebours. Une réponse possible serait que le préjudice se produit "toujours" ou "éternellement" :

George Pitcher propose une analogie utile. Il affirme que si "le monde devait être réduit en miettes pendant la prochaine présidence. ... cela rendrait vrai que même maintenant, pendant le mandat du président actuel, il est l'avant-dernier président des États-Unis". De même, la mort ultérieure d'une personne rend vrai le fait que, même maintenant, elle est condamnée à ne pas vivre plus longtemps qu'elle ne le fera. De même qu'il n'y a pas de causalité à rebours dans le cas de l'avant-dernier président, il n'y a pas de causalité à rebours dans le cas d'une mort qui nous porte préjudice depuis le début.

Une autre objection à la thèse de la privation consiste à nier simplement que ceux qui ont cessé d'exister puissent être privés de quoi que ce soit :

David Suits, par exemple, affirme que, bien que la personne ante-mortem puisse effectivement se trouver dans une situation pire que celle qu'elle aurait connue si elle avait vécu plus longtemps, le fait d'être dans une situation pire de cette manière "purement relationnelle" n'est pas considéré comme suffisant pour montrer qu'elle a subi un préjudice. Il ajoute que même si c'était le cas, il ne peut y avoir de véritable privation s'il n'y a plus personne à priver. On ne peut être privé que si l'on existe.

Nous sommes dans une impasse : tout dépend au final de considérer la mort comme un cas particulier de privation, ou de la traiter comme tous les autres cas.

Ceux qui rejettent la position Épicurienne peuvent prendre l'une des positions suivantes : a) La mort est toujours un préjudice. b) La mort est toujours un bénéfice. c) La mort est parfois un préjudice et parfois un bénéfice.

Benatar adopte la position c), comme la plupart des gens, mais sa version de la position implique que la mort est plus souvent un bénéfice. C'est parce que c'est peut-être un amour irrationnel de la vie qui empêche certains suicides dans des vies qui sont en fait très mauvaises.

Le fait que le suicide puisse avoir un impact très négatif sur nos proches fait partie intégrante de la tragédie de venir au monde :

Nous nous trouvons dans une sorte de piège. Nous sommes déjà venus au monde. Mettre fin à notre existence cause une immense douleur à ceux que nous aimons et à qui nous tenons. Les procréateurs potentiels feraient bien de considérer ce piège qu'ils tendent lorsqu'ils font un enfant.

Misanthropie et philanthropie

On pourrait qualifier les arguments de ce livre comme misanthropes, mais puisque Benatar se base sur une opposition au préjudice causé aux personnes qui naissent, il s'agit plutôt d'une sorte de position philanthropique (même si elle est étrange). C'est également une position zoophile (pas dans un sens sexuel), puisque les arguments sont applicables aux autres animaux sentients. Il existe cependant un argument misanthropique contre le fait d'avoir des enfants et pour l'extinction de l'humanité, basé sur le préjudice que la personne causera si elle est amenée à exister. Il ne va pas aussi loin, puisqu'il ne concerne que l'espèce humaine, mais il est parfaitement compatible avec les arguments philanthropiques.

Derniers mots :

Il est peu probable que beaucoup de gens prennent à cœur la conclusion selon laquelle venir au monde est toujours un préjudice. Il est encore moins probable que de nombreuses personnes cessent d'avoir des enfants. En revanche, il est fort probable que ma position soit ignorée ou rejetée. Comme cette réponse sera à l'origine d'une grande partie de la souffrance entre aujourd'hui et la disparition de l'humanité, elle ne peut être considérée comme philanthropique. Cela ne veut pas dire qu'elle est motivée par une quelconque malveillance à l'égard des humains, mais elle résulte d'une indifférence illusoire au préjudice de venir au monde.